ACCS : L’ADEME avait publié en 2007 le Guide de l’éco-communication, puis en 2020 le Guide de la communication responsable. Vous publiez, juste deux ans après, la deuxième édition de ce guide. Qu’est-ce qui explique que seulement après 2 années, vous décidez la publication d’une nouvelle édition ? Quels sont les éléments de contexte qui vous ont motivée pour cela ?
Valérie Martin : Lorsque nous avons publié le guide de la communication responsable de l’ADEME en janvier 2020 avec Mathieu Jahnich et Thierry Libaert[1] , nous pressentions déjà que de profondes modifications allaient transformer le secteur de la communication, du marketing et de la publicité.
Les débats avaient démarré dans le courant du second semestre 2019 et se sont renforcés au cours du 1er semestre 2020 avec de nombreuses contributions déterminantes qui sont venues nourrir et enrichir concrètement la réflexion. Que ce soient via les travaux de la Convention citoyenne pour le climat, les rapports des ONG tels que « Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique. » par les Amis de la Terre France, Résistance à l’agression publicitaire et Communication sans frontières ou encore Le rapport « Pour une loi Évin Climat» des ONG Greenpeace France, Réseau Action Climat et Résistance à l’agression publicitaire, nous ne pouvions que ressentir l’accélération de la pression exercée par des communautés très variées (scientifiques, experts, ONG, collectifs de citoyens…) ces questions ont été amenées au cœur même du débat public. Et même si elles se sont majoritairement concentrées autour du rôle de la publicité et de son impact sur la surconsommation, nous avons pu voir leur répercussion sur l’ensemble de la filière communication-marketing, mais aussi sur les médias.
Durant toute la phase d’écriture (2ème semestre 2021 à l’été 2022), nous avons pu en outre assister à des évolutions qui ont placé la question de la communication responsable dans une dynamique de changement structurel, et non plus dans une simple tendance conjoncturelle. On peut citer par exemple au niveau français la dénonciation régulière des actions de greenwashing par les membres du collectif « Pour un réveil écologique » et comme un corollaire le phénomène de judiciarisation face à ces pratiques commerciales trompeuses, bien sûr l’entrée en vigueur de nombreuses dispositions des lois anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) ou Climat & Résilience, sans oublier l’accentuation de la prise en compte de ces problématiques au niveau européen avec la volonté de renforcer l’information du consommateur.
Voilà ce qui nous a conduits à la publication de cette seconde édition largement enrichie puisqu’elle a doublé par rapport à la première !
[1]Les co-auteurs du guide de la communication responsable de l’ADEME : Mathieu Jahnich, Valérie Martin, Thierry Libaert
Pouvez-vous nous présenter les modifications essentielles pour cette nouvelle édition ?
V.M : Il faut sans doute déjà dire que le Guide de la communication responsable aborde bien sûr toujours les sujets traités dans la première édition : que ce soit la présentation des grands enjeux écologiques, les limites du modèle linéaire, le nécessaire déploiement d’une économie circulaire, la lutte contre le greenwashing, le très pratico-pratique chapitre dédié à l’éco-socio-conception des supports (édition, communication numérique, événementiel, production audiovisuelle) ou encore la communication de crise. Nous avons quand même réalisé un véritable travail d’enrichissement et d’actualisation de ces différentes parties ! Nous avons également décidé de développer de nombreux autres sujets qui entrent dans le champ de la communication responsable et que nous n’avions pas exposés précédemment : les nouveaux récits et le déploiement d’imaginaires alternatifs désirables plus compatibles avec les transitions écologique et sociale – donc sobres – qu’il est indispensable de faire émerger pour rompre avec le modèle économique dominant ; ce sujet intègre bien sûr le combat contre les stéréotypes de modes de vie qui vont à l’encontre de la modération de la consommation et donc véhiculent certaines représentations nous incluant dans un imaginaire du bonheur fondé principalement sur la possession et l’accumulation des biens. Les questions de l’infobésité et de la lutte contre les fake news sont aussi largement mises en avant au sein de cette nouvelle édition car elles ont des effets délétères sur la communication ; tout comme un focus sur la défiance et la société du doute dans laquelle nous évoluons. Enfin, deux nouveautés majeures : la communication au service de la résilience des territoires car face aux crises systémiques auxquels les territoires sont confrontés (les collectivités jouent un rôle clé pour relever ces défis qui passe par la co-construction d’un nouveau projet de territoire et l’accompagnement des changements de comportement nécessaires porté par la communication publique notamment) ; l’autre nouveauté c’est celle de la transformation des entreprises et donc de celle du modèle d’affaires qui induit nécessairement de nouveaux rôles et pratiques des fonctions communication et marketing. Nous abordons d’ailleurs cette question d’un marketing plus responsable de manière plus approfondie afin de partager des initiatives et des éléments concrets pour changer les pratiques.
Par ailleurs, nous nous sommes appuyés sur plus de 80 experts afin d’enrichir le guide avec des analyses et de nombreux exemples pour accompagner nos lecteurs dans la mise en œuvre de leur démarche de communication responsable.
A qui s’adresse ce guide ?
V.M : Notre volonté est que ce guide s’adresse à un public très large. Concrètement, cela signifie que tous les communicants, publicitaires et marketeurs du secteur privé comme du secteur public mais aussi du secteur non-marchand sont concernés par les contenus du guide. Au-delà, alors que le contexte actuel nécessite de mettre en place des stratégies RSE ambitieuses dans les organisations (et donc de renforcer la synergie entre les équipes de la RSE et de la communication), ce guide sera également un outil très utile pour les professionnels de la RSE ; nous avons identifié un parcours de lecture spécifique d’ailleurs pour ces personnes. Enfin ce guide s’adresse à tous les enseignants et étudiants de ces différents domaines de la communication, du marketing, de la RSE et aussi en sciences politiques, administration générale, commerce et management. Il y a une forte attente de la part des professionnels en activité ou des futurs professionnels à s’investir dans une communication plus responsable et de (re)donner du sens à leur métier et à leur engagement. Véritable outil de formation, ce guide a pour ambition d’accompagner le nécessaire changement en profondeur de la fonction communication et marketing.
Quel regard portez-vous sur la prise en compte de la communication responsable dans les organisations, vous semble-t-elle désormais partagée dans la plupart des organisations ?
V.M : Nous pouvons déjà noter que le secteur de la communication semble comprendre la nécessité de faire sa propre « révolution » car la défiance est telle aujourd’hui que sans une modification profonde de ses fondements et pratiques ce secteur ne réussira pas à promouvoir et à faire la pédagogie d’un nouveau modèle de société. En tant que puissant vecteur de transformation culturelle, la communication, et donc les communicants, doivent en effet prendre leur responsabilité face à ces évolutions et accompagner le changement collectif au service d’un imaginaire d’une sobriété désirable et non plus d’un imaginaire lié à la surconsommation.
Progressivement, on voit se dessiner cette dynamique collective, même si une vigilance forte reste de mise afin de lutter contre certaines pratiques que l’on constate régulièrement. Preuve en est les cas de greenwashing systématiquement dénoncés comme je le mentionnais tout à l’heure ! Les citoyens sont aussi de plus en plus sensibilisés et attendent des marques un discours sincère et cohérent[1] : 84% déclarent avoir besoin de preuves tangibles lorsque les entreprises souhaitent communiquer sur leurs engagements en faveur de la planète et de la société.
Toutefois, les choses commencent à bouger. Tout d’abord, on assiste à un mouvement de formation aux enjeux de la transition écologique, aux bonnes pratiques de communication responsable et à de nouvelles démarches de travail qui se met en place tant dans les organisations (entreprises, collectivités, Etat) qu’au sein des agences. Dans les écoles et les universités pareillement ce sujet semble gagner du terrain. C’est un premier pas indispensable ! A cet effet, je ne résiste pas au fait de citer comme indicateur le nombre de commandes de notre guide dans les 15 jours ayant suivi son édition, près de 800 guides, ce qui est pour nous un excellent résultat ; c’est beaucoup plus important que pour la précédente édition ! Le guide de l’ADEME apparaît comme un guide de référence.
Par ailleurs, je remarque aussi que de nombreux webinaires, colloques sont organisés autour de ces thématiques par des réseaux variés et en particulier des réseaux de professionnels de la communication tant au niveau national que régional. On voit par ailleurs se développer des outils mesure de l’empreinte carbone des communications dans l’optique à terme de définir leur trajectoire climat pour réduire leur impact. L’intérêt est donc manifeste. Bien sûr, il y a du débat, des interrogations et encore des résistances, ce qui est un phénomène auquel on pouvait s’attendre compte tenu de la modification des pratiques et plus largement du modèle de fonctionnement à entreprendre.
Enfin, on constate que ce ne sont plus simplement certaines grandes entreprises ou agences spécialisées qui s’emparent de cette thématique. De nombreux acteurs s’y intéressent et commencent à investir le sujet : entreprises de toute taille, collectivités territoriales, agences de communication et de publicité, réseaux de marketeurs… Nous voyons par ailleurs bouger le secteur des médias avec la “Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique” lancée le 14 septembre dernier.
Cette forte attente sur ces sujets est positive, toutefois le mouvement doit encore s’accélérer afin que ce secteur puisse devenir un des leviers de la transition écologique et de la transformation de notre société. Car tel est bien l’enjeu.
[1] Source : 15ème baromètre Greenflex- ADEME
En plus du livre, vous avez mis en place un site internet sur la communication responsable. Que peut-on y trouver par rapport au livre ?
V.M : Oui, l’ADEME a souhaité mettre en place dès la première édition du Guide en 2020 un site internet sur la communication responsable : communication-responsable.ademe.fr. Il s’agit d’un véritable prolongement du guide, un hub d’informations sur la communication et le marketing plus responsables afin de pouvoir partager des contenus régulièrement actualisés. Dans cette optique, nous avons d’ailleurs décidé de refondre notre site à l’occasion de la sortie de cette nouvelle édition de notre guide, avec pour objectif de mettre en avant l’essentiel des informations à connaître sur les différentes problématiques traitées dans le guide, mais aussi pour partager davantage d’outils pratiques, de résultats d’études et bien sûr de témoignages d’acteurs engagés. Bref, c’est un outil d’inspiration et de valorisation de l’expertise… qui permet d’être toujours informé et d’accompagner les communicants dans le passage à l’action vers des pratiques de communication plus responsables.