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5 mai 2025

« Si la communication apparaît comme une solution, on a un problème,
mais si la communication apparaît comme un problème,
alors on s’approche de la solution »

Yves Winkin est une figure marquante des sciences de l’information et de la communication. Loin du solutionnisme technique dominant, il a très tôt mis le cap sur une approche anthropologique de la communication. Présenté parfois comme l’introducteur en France de l’Ecole de Palo Alto, il a surtout assuré un dialogue constant entre le meilleur des apports des sciences sociales américaines et la recherche européenne en communication.

Dans un très intéressant livre La communication au long cours Conversations sur les sciences de la communication qui vient de paraître chez C&F Editions (https://cfeditions.com/communication-long-cours/), Yves Winkin s’entretient avec Jean-Marie Charpentier sur son parcours intellectuel autour des enjeux de communication, de culture et de société. Il a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions.

Il y a une cinquantaine d’années, vous avez joué un rôle singulier avec la parution de La Nouvelle communication(Seuil). Celui d’un passeur de plusieurs apports majeurs des sciences sociales américaines (Erving Goffman, Gregory Bateson, Ray Birdwhistell entre autres…) dans les sciences de l’information et de la communication alors naissantes en France et dans le monde francophone. Entre héritage et actualité qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Attendez : il n’y a pas encore cinquante ans – seulement quarante-quatre… La Nouvelle communication est sorti en 1981. Mais vous avez raison, l’ouvrage oscille aujourd’hui entre deux statuts : le document d’archive, rangé sur l’étagère des livres qu’on garde par nostalgie, et l’outil de référence, moins lu que consulté de temps à autre. A l’occasion d’une réédition de La Nouvelle communication en 2001, j’avais écrit un « épilogue » logiquement intitulée « Vingt ans plus tard ».  J’avais fait remarquer que la recherche française en sciences de l’information et de la communication était restée globalement ancrée dans une vision « télégraphique » de la communication mais que -haut les cœurs !- des chercheurs/chercheuses de la « quatrième génération » avaient adopté la vision « orchestrale » dans leurs travaux. Je décrivais ainsi brièvement les travaux de Véronique Servais, Emmanuelle Lallement et Filareti Kotsi. Vingt-quatre ans plus tard encore, la situation n’a guère évolué, du moins en France. La Nouvelle communication est encore utilisé comme ouvrage pédagogique ici et là, par exemple au CELSA, mais n’alimente toujours pas plus la recherche, sinon de manière très localisée. Par contre, j’ai eu deux bonnes surprises dans l’espace francophone au cours de ces dernières années.  

En 2022, l’Université du Québec à Trois-Rivières m’a remis un doctorat honoris causa à l’initiative d’un groupe de professeurs de Communication qui voulaient fêter le trentième anniversaire de leur département en rappelant que La Nouvelle Communication leur avait donné un socle commun pour créer les nouveaux programmes.  Et l’année dernière, j’ai découvert par hasard un livre superbe des Editions B-42, intitulé Une bonne description. Quatre études autour de Gregory Bateson, Ray Birdwhistell et Margaret Mead. C’est le résultat d’un énorme travail mené par des professeurs de trois hautes écoles artistiques suisses francophones, qui ont voulu retraduire plusieurs chapitres d’un livre mythique, The Natural History of an Interview,  dont je parlais beaucoup dans La Nouvelle Communication, notamment à propos de l’investissement de Birdwhistell dans « La Scène de la Cigarette », une analyse image par image d’une interaction entre Gregory Bateson et une jeune femme appelée Doris,  qui avait accepté qu’on la filme au cours d’un entretien portant sur son petit garçon. J’ai évidemment pris contact avec les responsables de l’ouvrage, Christophe Kihm et Rémy Campos, qui m’ont expliqué qu’ils avaient voulu retraduire tous ces textes pour s’imprégner de l’esprit qui sous-tendait la démarche de Bateson et Birdwhistell. Ils étaient partis de La Nouvelle communication et étaient remontés aux sources. J’étais aux anges.

Au fil des années, vous avez développé une anthropologie de la communication qui vous distingue dans le champ de la recherche. Avec à la base, une certaine conception et des méthodes particulières du travail ethnographique en communication. Qu’est-ce que tous les « petits terrains », comme vous dites souvent, vous ont permis d’appréhender au fond sur ce que représente fondamentalement la communication ?

La proposition que j’avais faite dans Anthropologie de la communication : de la théorie au terrain, d’une anthropologie par la communication ne s’est jamais installée comme programme de recherche, que ce soit en anthropologie ou en sciences de l’information et de la communication.  Il y a quelques semaines, j’ai été invité à l’Université Catholique de Louvain à faire un exposé dans le cadre d’un cours intitulé « Anthropologie de la communication ». Je me suis rendu compte que ce cours était comme un fossile d’une époque antérieure de la vie du département de Communication sociale et qu’il allait bientôt disparaître. La jeune enseignante qui en a la charge le remplit avec ses propres travaux, qui n’ont rien à voir avec l’anthropologie de la communication telle que je l’avais envisagée. Mais peu importe : l’essentiel est ailleurs. L’essentiel, c’est que la démarche ethnographique se soit répandue un peu partout en sciences humaines et sociales comme méthode légitime de collecte et de traitement de données qualitatives. Ce n’est évidemment pas moi seul qui ait provoqué cette ouverture. Nombre de manuels de méthodologie de ces dernières années ont œuvré dans le même sens. Je voudrais ainsi au passage rendre hommage à Nicolas Nova, récemment décédé, qui avait publié en 2022 un délicieux petit ouvrage intitulé Exercices d’observation : dans les pas des anthropologues, des écrivains, des designers et des naturalistes du quotidien.
Mais le résultat est que les philosophes font aujourd’hui du terrain. Je songe bien sûr à Baptiste Morizot mais aussi aux étudiantes et étudiants dirigées par Vinciane Despret, comme Elsa Maury, dont le film issu de sa thèse, « Nous la mangerons, c’est la moindre des choses », est superbe d’intelligence et de délicatesse. Les littéraires font aussi du terrain—je songe par exemple à l’ « enquête narrative » de Raphaëlle Guidée à Detroit. Les politistes aussi, comme en témoigne le récent ouvrage Ethnographie(s) politique(s). Méthodes, objets et terrains, dirigé par Martina Avanza, Sarah Mazouz et Romain Pudal.  Et bien sûr, on commence à voir émerger des « éclats d’ethnographie » en sciences de l’information et de la communication : j’emprunte ici la formule au titre d’un livre collectif que Johanne Samè va bientôt publier. Dans tous les cas, il s’agit de « petits terrains », et non de longues immersions de plusieurs années comme les anthropologues des générations précédentes les pratiquaient. Les chercheurs d’aujourd’hui, faisant souvent de nécessité vertu, pratiquent plutôt l’ethnographie « multi-située ».  Pourquoi pas ? Moi-même, en continuant à travailler par observation sur divers lieux urbains, je m’inscris dans cette approche. Et je continue à voir comment la communication entendue comme « performance de la culture » s’accomplit au travers de gestes, de silences, de regards. Mais ces mouvements sont aujourd’hui augmentés ou au contraire étouffés par les micro-technologies appareillées qui se déploient dans l’espace public avec toujours moins d’inhibition.           

Aujourd’hui, en effet, vous menez des recherches et des interventions sur ce que vous appelez avec plusieurs autres chercheurs la « ville relationnelle ». En quoi la ville est-elle à la fois un révélateur et un catalyseur particulier en matière de communication dans nos sociétés ?

Ce n’est pas moi, mais Sonia Lavadinho, avec qui je travaille depuis un bon quart de siècle, qui a proposé cette notion de « ville relationnelle ». Bien sûr, on peut dire que toute ville est relationnelle, en ce sens que tout vie urbaine repose sur des relations humaines, qu’elles soient très brèves (on parlera alors plutôt d’interactions) ou à très longue portée. Mais si Sonia Lavadinho, et je la rejoins sur ce point, a voulu insister sur cette dimension relationnelle de toute ville, c’est pour établir un contraste avec ce qu’elle appelle la « ville fonctionnelle ». Et c’est vrai que les décideurs et gestionnaires urbains ont souvent tendance à se focaliser sur la « machinerie », sur les tuyaux en tous genres, des rues aux égoûts, des câbles électriques aux conduites de gaz, qui font tourner la ville et qui absorbent la plus grosse partie des budgets. On dirait que les habitants viennent par surcroît, et ne coûtent quasiment rien en équipements spécifiques, sinon quelques aménagements de parcs, quelques bancs, quelques abribus. Leur part dans les budgets est minimale. Quand Sonia Lavadinho m’a présenté cette opposition entre ville relationnelle et ville fonctionnelle, j’ai songé à la distinction classique entre contenu et relation chez Bateson, ou encore entre « communication néo-informationnelle » et « communication intégrationnelle » chez Birdwhistell. L’argument de Sonia en faveur d’un soutien franc et massif de la ville relationnelle, en termes de budgets mais aussi et surtout en termes d’interventions urbanistiques spécifiques, m’a séduit parce que j’y ai vu une façon d’opérationnaliser la vision orchestrale de la communication que j’ai toujours défendue. C’est ainsi que nous avons écrit ensemble (et Pascal Lebrun-Cordier) un manifeste : La Ville relationnelle. Les sept figures (Apogée, 2024) et que nous allons publier cette année un livre plus technique : La Ville relationnelle. Les cinq leviers, toujours chez Apogée.   Les leviers sont les interventions urbaines qui permettent selon nous d’accélérer la mise en place d’une ville placée sous le signe des relations humaines­—sous le signe de la communication intégrationnelle, en d’autres termes.  Je me dois de souligner que les idées ont été fournies par Sonia Lavadinho, mais que j’y souscris pleinement. J’ai seulement contribué à les « mettre en musique », comme second auteur loin derrière le premier auteur.      

A vous lire, on est frappé par la dimension proprement culturelle de vos travaux. Vous dites d’ailleurs que la communication s’apparente à « une performance de la culture ». Or, cette dimension n’est pas ce qui vient spontanément à l’esprit quand on évoque la communication dans ses différentes manifestations, notamment technologiques. Comme s’il y avait toujours une minimisation de la communication comme phénomène social et culturel…

Le problème, avec cette vision de la communication comme « performance de la culture », c’est qu’elle n’est pas intuitive. Dans le discours ordinaire, on comprend tout de suite ce qu’est la communication, qu’elle soit en tête en tête, téléphonique ou autre. D’ailleurs, les études en communication sont aujourd’hui de plus en plus tournées vers le marketing, vers les médias numériques, qui ne demandent pas de conceptualisation particulièrement sophistiquée. La communication reste une affaire de transmission de messages. Dans un autre univers, celui du développement personnel, moins enseigné à l’université mais très présent dans des séminaires de formation et de « coaching », la communication est plus une affaire d’empathie, de lâcher prise, de fusion. On est dans toujours dans l’intuition, pas dans l’analyse. Ce qui veut dire que la conceptualisation de la communication comme phénomène social et culturel devient de plus en plus aujourd’hui une démarche intellectuelle de « niche », dont ne se revendiquent plus que des chercheurs qui comprennent encore que la lutte est incessante contre les fausses évidences du sens commun—je cite ici de mémoire la célèbre phrase de Bourdieu, Chamboredon et Passeron dans Le Métier de sociologue.

J’ai souvent dit que si la communication apparaît comme une solution, on a un problème, mais que si la communication apparaît comme un problème, alors on s’approche de la solution. En d’autres termes, il faut garder à la notion de communication le statut d’un analyseur, qui va tenter d’appréhender une situation, une organisation, une communauté—bref, un terrain— à partir des travaux de chercheurs comme Bateson, Birdwhistell ou Goffman. Mais la communication n’est jamais la clé magique universelle.    

 S’il y a un concept qui semble retenir votre intérêt sur longue période, c’est celui d’enchantement. Pourquoi cette attention particulière aux manifestations d’enchantement et en quoi les reliez-vous à la communication ?

Je ne dirais pas qu’il y a des « manifestations d’enchantement » ; je dirais qu’il y a nombre de manifestations, et plus largement de situations, qui sont susceptibles d’être analysées en termes d’enchantement. La notion d’enchantement, c’est comme celle de communication : on peut la prendre dans une acception immédiate, mais on peut aussi la construire et tenter d’en faire un outil d’analyse, ou du moins un « concept sensibilisateur », pour reprendre le terme du sociologue américain Herbert Blumer. Pour ma part, j’ai tenté de combiner deux formules déjà bien connues pour obtenir une première définition de l’enchantement : d’une part, la « suspension volontaire de l’incrédulité », du poète anglais James Coleridge, et d’autre part, le « je sais bien, mais quand même », du psychanalyste français Octave Mannoni.  Et j’ai tenté d’appliquer cette vision de l’enchantement à diverses situations et organisations, à commencer par les manifestations de relations publiques (j’étais à l’époque responsable de la communication du CHU de Liège) et les voyages touristiques. Puis j’ai élargi ma base empirique aux croisières, aux parcs d’attraction, aux centres commerciaux… La dimension spatiale, bien circonscrite, est toujours restée importante. Et je me suis aperçu qu’entre ces lieux, qui ne sont jamais loin d’être des utopies concrètes, et les « institutions totales » de Goffman, il n’y avait que la différence entre un avers et un revers. Le vocabulaire est souvent le même (patio, coursives, toit de verre) mais les fonctions attribuées sont inversées (de la convivialité à la surveillance).  J’ai fini par me rendre compte que le terme même d’enchantement recelait cette ambivalence, entre émerveillement et envoûtement maléfique (Merlin l’enchanteur). Mais je n’ai pas voulu dénoncer une quelque emprise de l’enchantement, comme nombre de chercheurs l’ont fait pour le tourisme, par exemple. Pour moi, les individus s’engouffrent très volontairement dans les dispositifs d’enchantement ; ils n’y sont en rien forcés. Ils y viennent avec une certaine disposition, qui peut comporter un désir d’égarement, de perte de contrôle momentanée. Aliénation ? Non, servitude volontaire. Analyser les mécanismes de l’enchantement, c’est pour moi se donner les moyens d’appréhender une composante importante de la condition contemporaine.  C’est une autre façon de comprendre comment nous performons notre culture, donc, encore une fois, d’envisager la communication comme phénomène social total. 

Dans l’actualité, un exemple marquant d’enchantement ? Et peut-être aussi un exemple de désenchantement ?

Oui, il est bon d’être un peu concret pour terminer. L’actualité internationale est terrifiante, et l’on a spontanément envie de dire que les exemples d’enchantement ne peuvent plus appartenir qu’à la catégorie des étourdissements, des fuites en avant dans le déni, genre carnavals déjantés, grosses « teufs » ou treks au Bhoutan… Mais les lieux et moments d’enchantement sont bien plus proches de nous—de même que les lieux et moments de désenchantement. En fait, ce sont les mêmes, tantôt vus d’en haut, tantôt vus d’en bas. Par exemple, quand vous entrez dans une gare ou un aéroport dessiné par l’architecte espagnol Santiago Calatrava, vous avez l’impression de pénétrer à la fois dans une baleine et dans un film de science-fiction fondé sur un monde doux et lisse. Si du moins, vous acceptez de suspendre votre incrédulité, notamment en vous disant : « je sais bien que je ne suis que dans une gare (un aéroport) mais quand même, je suis ailleurs ». Vous êtes dans un univers enchanté. Mais il suffit de recadrer la perception, et vous basculez dans un univers désenchanté, dystopique à la limite, fait de monades marchant très vite, d’annonces permanentes de trains ou de vols en retard, de boutiques hors de prix. Cette même ambivalence se retrouve quand vous montez à bord d’un Eurostar ou d’un vol Air France : soit vous vous construisez une bulle d’enchantement, sur la base d’une prise en charge totale, où vous n’avez plus qu’à lire, écouter de la musique ou dormir, soit vous constatez que votre siège ne se redresse plus, qu’une des toilettes est condamnée et que l’espace est aussi contraint que chez Easyjet.  On pourrait multiplier les exemples de cet ordre, qui montreraient que l’enchantement (et le désenchantement) dans des situations presque ordinaires comme les déplacements en train et en avion  sont toujours affaires de couplage entre dispositifs et dispositions.      

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30 avril 2025

Retrouvez la retranscription de la conférence en ligne du 26 mars 2025 sur « Les nouveaux enjeux de la communication publique », avec les interventions de Dominique Bessières (Université Rennes 2 – PREFICS), Philippe Dubois (Université du Québec – ENAP) et Gaël Lecomte (Chargée de communication au Service Public de Wallonie, Présidente de WB Com’, réseau de communication public belge francophone), et la modération par Erwan Lecoeur (Université Grenoble Alpes – GRESEC).

La vidéo de la conférence est aussi accessible sur notre chaîne YouTube.

Questions à Monique Wahlen

Vous avez passé l’essentiel de votre carrière dans la communication et les problématiques de marque. Vous avez travaillé chez Grey, chez Draft FCB puis dans l’agence Le Cabinet que vous avez co-fondée avec Benoit Héry. De toute cette carrière dans les questions de marque, quels sont les points essentiels que vous retenez ?

    • Que les problématiques de marque sont vraiment structurantes dans nos sociétés contemporaines ultra-marchandisées, car le marketing n’y est pas qu’une simple technique de vente, mais bel et bien un mode de pensée, de représentation et de relation sociale. Pour emprunter la terminologie de Karl Polanyi * : je suis convaincue que le modèle du marketing et donc de la communication marchande se sont    désencastrés du champ de l’économie pour devenir dominants et autonomes.
      * « Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique » (Polanyi, 1944, p. 88).
    • Que la notion de marque est ainsi au cœur de tous les débats sur la politique, la vie privée, la culture, le sport,  la science, l’économie bien sûr …et de ce fait, elle devient transversale, omniprésente, omnipotente ; que l’on en ait conscience ou non, qu’on le veuille ou qu’on y résiste.
    • Que la construction et le développement des marques relève d’une technique bien particulière, d’origine anglo-saxonne, qui se nomme branding et qui dépasse largement, en largeur et en profondeur, le périmètre de la simple communication marchande. Cette démarche de branding peut tout autant concerner une entreprise, une institution, un indépendant, une association, une ONG, un individu, une idée, une œuvre ; bref, tout ce qui a besoin d’être dit, transmis, partagé, vendu.
      Parce que c’est mon cœur de métier et aussi mon « laboratoire », je vais concentrer mes propos sur le cas de l’entreprise, mais il faut garder en tête que, ce qui se pratiquait initialement dans le champ économique, s’est maintenant diffusé à l’ensemble des activités sociales.

    Est-ce que tout peut être « marque « ?

    C’est même pire :-). Nous n’en sommes plus au stade où tout peut être marque, ce qui sous-entendrait qu’il y a encore des possibilités d’y échapper. Aujourd’hui, tout EST     marque et tout FAIT marque, qu’on le déplore ou qu’on l’accepte, c’est un fait.

    Vous dites que le branding ce n’est pas de la communication, pouvez-vous expliquer cela ?

    Beaucoup de professionnels et de dirigeants d’entreprises se posent la question de savoir si le branding et la communication recouvrent les mêmes pratiques, les mêmes modes de réflexion et de construction ?
    En résumé : stratégie de branding et stratégie de communication sont-ils des termes équivalents ?
    En guise de réponse, j’ai l’habitude de dire que le « branding » n’est pas QUE de la communication ; que le branding ne se limite pas à la communication commerciale.
    La nuance est importante, car d’expérience, quand on parle de marque aux entreprises, elles pensent souvent automatiquement à la publicité, sous toutes ses formes, autrement dit : à ce que j’appelle la marque-logo, qui vient émettre ou signer un message marchand.
    Avec le branding, la notion de marque peut s’entendre dans un sens beaucoup plus large et plus existentiel pour l’entreprise. Il s’agit de penser la marque en tant que siège du projet d’entreprise. La marque y est comme le cœur du réacteur, elle contient et concentre l’ensemble de l’énergie, l’ensemble des ingrédients qui vont déterminer et alimenter la totalité des activités de l’entreprises, bien au-delà de la seule communication marchande. Les RH, la R&D, la logistique, les finances, la production, l’architecture, le marketing, la RSE …sont ainsi drivés par la marque. Celle-ci devient une marque structurelle voire quasiment existentielle, vu qu’elle détermine les choix stratégiques de l’entreprise et de son dirigeant. C’est sur elle que va se faire la différence par rapport à ses concurrents et donc la préférence. Dans des marchés aujourd’hui saturés, être différent et donner des raisons d’être préféré est non seulement un atout, mais une condition sine qua non de survie.

    Dans votre ouvrage « De la marque au branding » vous remettez en cause la distinction entre communication produit et communication corporate, selon vous ce serait la même méthode pour travailler ces 2 sujets ?

      Oui, clairement, car au-dessus des deux, il y a la marque ! Une marque unique, mais qui qui va choisir des modalités d’apparition, d’expression différentes selon les situations    et les objectifs. Il ne faut jamais oublier que l’entreprise est une entité globale dont l’ensemble des activités doivent être cohérentes et combinées pour œuvrer au même projet. Qu’il s’agisse de l’institution en elle-même, de ses produits, de ses lieux ou des individus qui   y collaborent … tout est porté, tout doit absolument être porté par une    seule et même marque. Que cette marque globale fasse ensuite l’objet de sous-marques-  produits, pour distinguer des gammes par exemple, n’empêche rien. La Marque est une et unique ; ce sont ses facettes, ses activités, ses expressions qui, dans ce cadre unique,    peuvent être distinctes. On a trop joué sur l’indépendance du corporate et du produit    dans une espèce de schizophrénie, entre la « noblesse » du corporate et les « basses exigences du commerce », qui arrangeait tout le monde, parce qu’elle donnait bonne conscience. L’approche globale et holistique du branding force à la cohérence. Tous les signaux quels qu’ils soient, émis par l’entreprise, doivent servir une même intention, que l’on appelle projet d’entreprise ou stratégie de marque.

      Vous avez travaillé avec de grandes marques et pourtant vous êtes particulièrement discrète. Vous êtes absente des réseaux sociaux et votre agence de communication n’existe même pas sur Internet. Comment peut-on faire de la communication sans être sur la sphère numérique ?

      Cela s’appelle de « l’under-marketing », qui contrairement à ce que laisse supposer sa    dénomination, relève d’une stratégie qui doit être encore plus marketée dans l’idée de    ne pas paraître relever d’une communication marchande trop visiblement intéressée. Le   must, c’est d’avoir l’air de n’avoir rien à vendre, mais au contraire de donner des conseils, des tuyaux spontanément, gratuitement, pour faire plaisir, comme le ferait un ami. C’est fort non ???? L’over-marketing (à savoir le sur-marketing, trop visible, trop excessif et caricatural) étant maintenant plutôt bien repéré, décodé et fui par les « consommateurs », la tendance  inverse s’est développée pour en prendre le contre-pied. Marx soulignait ce phénomène à propos du capitalisme qui intègre ses propres contradictions et les retourne à son profit. La leçon a bien été retenue 😉

      Question incontournable : l’IA va-t-elle révolutionner le branding ?

      Joker ! J’en ai par-dessus la tête de l’IA présentée comme la panacée et l’avenir de l’humanité. Pour moi, et cela n’engage que moi, tant qu’elle continue à n’être qu’algorithmes + big data + puissance de calcul, je pense que cela ne va rien bouleverser ; juste intensifier et accélérer ce qui se fait déjà. Chat GPT ? Les textes non déterminants seront écrits via ces modèles standardisés et le sur-mesure créatif (textes, raisonnements complexes) restera incomparablement humain. Sur les images en revanche, cela risque d’être un peu plus compliqué, car il va être extrêmement compliqué de distinguer une image qui ne correspond à aucune réalité. Et là, c’est un véritable problème d’éducation non seulement du consommateur mais du citoyen.
      J’en profite ici pour plaider de manière plus générale, en faveur de l’éducation aux logiques de marques et à la communication marchande dès le plus jeune âge.
      À défaut de pouvoir échapper à cette marchandisation généralisée des échanges sociaux, il faut que chacun puisse savoir quels sont les processus à l’œuvre, comment sont construites les marques, comment fonctionnent les stratégies d’influence, comment agit la publicité. Être éclairé et conscient est déjà un grand pas.
      Mon rêve serait d’intervenir dans les écoles auprès des jeunes pour leur expliquer mon travail et leur révéler les coulisses du grand théâtre de la consommation et de la communication.

      Par rapport à l’ensemble de vos actions, quelle est la réussite dont vous êtes la plus fière ?

      Je suis très fière d’avoir réussi à monter une entreprise qui m’a permis de faire ce           métier de la manière dont je voulais le faire : sans compromis, en étant libre de mes      choix, de mes pensées, en m’amusant, en aidant mes clients de manière honnête et      convaincue … tout en continuant à réfléchir et à avancer de manière critique sur des pratiques dont je connais précisément les ressorts et les aboutissants pour les pratiquer quotidiennement. Certains penseront qu’il s’agit d’un discours bien pratique destiné à rendre supportables des injonctions totalement paradoxales. Je leur réponds que je me suis effectivement posé cette question, mais qu’au final, j’ai décidé d’en faire une force et de rejoindre la position de Yannis Varoufakis sur les « insiders » : la     meilleure manière d’influer sur un système est d’y agir de l’intérieur, avec ses propres codes et ses propres règles.  Je ne veux renoncer à rien : ni à ma passion professionnelle pour les marques commerciales et les marchés de mes clients, ni à         mes convictions profondes sur le « marketing en tant qu’outil de contrôle social »,      thème que je développe depuis ma thèse de doctorat, il y a plus de 25 ans maintenant.

      Vous avez rédigé votre thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication. Pouvez-vous nous présenter votre expérience avec le monde de la recherche et plus globalement votre regard sur les relations entre chercheurs et praticiens sur les sujets de communication en France ?

      Juste quelques mots, car il n’y a pas grand’chose à dire hélas, tant ces deux mondes        continuent à s’ignorer mutuellement. Chacun reste dans son silo et parle de SA vision     de la communication, plus ou moins marchande, plus ou moins sociale. Or les principes idéologiques, sociologiques et politiques qui les sous-tendent sont les mêmes. De tels propos choquent encore beaucoup à l’université et vous fait passer pour un « intello » dans les agences de communication. C’était déjà le cas à l’époque de ma thèse (en 1999) et je ne trouve pas que cela ait vraiment évolué. C’est étonnant non ? Comment l’expliquer ? Force du tabou « commercial » à l’université, persistance du délit de « pensée complexe » dans les agences ou les entreprises ?

      Aux jeunes qui souhaitent se lancer dans une carrière en communication, vous leur diriez quoi ?

      • Faites-le pour de bonnes raisons, pas pour les poncifs habituels et les lieux communs sur la communication. Tout le monde ne peut / ne sait pas faire de la communication. C’est un vrai métier, avec une vraie technicité à acquérir.
      • Intéressez-vous à la micro-économie, suivez la vie des marchés, passionnez-vous pour l’étude des comportements et de la psychologie des « consommateurs ». Sciences économiques et sciences humaines sont indispensables. Votre terrain de jeu c’est la société !
      • Soyez curieux de tout, cultivez-vous, écoutez le monde.

      Pour bien communiquer, il faut regarder partout, lire tout, questionner sans cesse, pour comprendre : la société, les gens. Cela doit devenir un réflexe, voire une obsession.

      • Dans vos recommandations et vos raisonnements stratégiques, ayez des opinions, faites des choix, affirmez-les et défendez-les ; osez la non-neutralité. Les clients apprécieront et vous ferez la différence.
      • Enfin, croyez en ce que vous faites, faites le bien et honnêtement, le mieux possible à la fois pour l’entreprise, le client, la société et la nature … mais gardez toujours un œil critique et un certain recul sur votre pratique de la communication, pour rester lucide et vigilant quant au pouvoir croissant et aux excès potentiels d’un tel outil !

      Entretien avec Josianne Millette – Le phénomène des relations publiques. Regard critique sur la pratique

      Entretien avec Josianne Millette, professeure agrégée,
      Département d’information et de communication, Université Laval
      Propos recueillis par Stéphanie Yates

      Comment résumerais-tu la thèse centrale de ton ouvrage?

      Comme l’évoque bien le titre du livre, je résumerais en insistant sur le besoin de s’intéresser aux relations publiques  – les fameuses « RP » – comme phénomène social. C’est-à-dire que, plutôt que de me pencher sur les RP comme outil stratégique de gestion, j’ai voulu examiner le quotidien des professionnel.les de la pratique,  comment se font les RP et qui en fait, mais aussi avec quels enjeux, en tentant de comprendre par exemple comment les relations publiques interviennent dans la société. Ce faisant, j’ai souhaité éviter les caricatures, en essayant d’échapper à une opposition normative entre la critique forte des relations publiques en tant qu’outil de propagande, d’une part, et la défense professionnelle du métier, d’autre part. J’estime que cette opposition normative constitue une entrave à la compréhension plus fine de ce que sont et de ce que font les relations publiques dans nos sociétés contemporaines.

      Pourquoi avoir choisi de t’intéresser aux pratiques professionnelles, qu’est-ce qui t’interpellait particulièrement dans cette question?

      Il y a certainement eu une impulsion lors de ma formation collégiale en Art et technologie des médias, une formation de nature technique. Par la suite, tout mon parcours universitaire a été motivé par un désir de mieux comprendre « les recettes » qu’on m’avait enseignées sur un plan technique, de mieux comprendre comment ça fonctionne, de mieux en saisir les enjeux. Les façons de faire du métier sont tellement importantes aujourd’hui : les relations publiques sont partout, on a d’ailleurs l’impression de bien les connaître – on dira par exemple « je m’en vais faire mon PR ». Paradoxalement, elles sont peu décrites. On dit toujours que la profession est mal comprise, mal connue. En abordant le tout à partir des pratiques professionnelles, je pense qu’on peut mettre de l’avant le côté « ordinaire » des communications : ce sont des hommes et des femmes qui entrent au travail le matin, qui font ce qu’ils et elles ont à faire avec toutes les petites difficultés que ça comporte. Mais c’est un travail qui est aussi guidé par un ensemble de normes, d’identités, d’imaginaires… et dont les conséquences dépassent, pour le dire ainsi, le contexte immédiat des interventions qui sont mises en œuvre. C’est ce qui m’intéresse.

      Peux-tu nous parler un peu de ton terrain d’investigation?

      Une partie de l’ouvrage repose sur l’étude de terrain conduite dans le cadre de ma thèse de doctorat, qui s’est amorcée en 2013. On en était alors à un tournant quant à l’intégration des plateformes numériques à la vie quotidienne en général, mais aussi aux pratiques professionnelles en relations publiques. Je me suis donc intéressée aux enjeux éthiques qui traversaient cette intégration-là, cet apprivoisement, des médias numériques dans la pratique des RP et aux discours professionnels que cela a généré. Je suis allée assister à des formations et à des conférences destinées aux professionnel.les, j’ai fait des analyses de contenu sur des livres et des articles leur étant destinés. J’ai aussi conduit une série d’entretiens au long cours : après un entretien initial, j’ai observé en détail, sur une période de trois semaines en moyenne, les usages des professionnel.les rencontré.es, pour terminer par un entretien sur traces. J’ai ainsi pu faire ressortir non seulement le discours des professionnel.les sur ce qu’ils disent qu’ils font, mais aussi comment ça se traduit concrètement dans le travail de tous les jours.

      Quels sont les éléments qui t’ont le plus surpris dans cette démarche?

      Une des choses qui m’a fascinée dans la trajectoire des usages est la négociation des identités personnelles et professionnelles en ligne, l’imbrication de ces deux types d’identité et tous les flous que ça peut créer. J’ai d’ailleurs constaté que c’est dans cette imbrication que se posent les questionnements éthiques les plus saillants. Par exemple, on me disait lors des entretiens « j’ai commencé à suivre des gens à partir de mon compte personnel, mais ces gens-là ne savent pas que je suis en train de mettre en place une veille sur eux… ». J’ai aussi été interpellée par tous les petits « bricolages » qui façonnent les usages, par exemple en ce qui concerne le masquage des commentaires, alors que selon la norme professionnelle et dans un esprit de dialogue, ceux-ci ne devraient normalement pas être effacés. Même si le rapport au web a changé depuis les 10 dernières années – la gestion de communauté se développe d’ailleurs comme une expertise à part entière – ces questionnements éthiques me semblent toujours actuels. Ils sont d’ailleurs réactualisés avec l’arrivée de l’intelligence artificielle : un imaginaire se développe et la profession essaie de réaffirmer son expertise face à ce changement, en développant de nouveaux patterns culturels, qui s’inscrivent dans la « cosmologie » des relations publiques.

      Le sous-titre de l’ouvrage suggère un regard critique sur la pratique : quel est ce regard critique?

      Mon approche, qui s’inspire du philosophe américain John Dewey et de son pragmatisme critique, vise à alimenter une réflexivité chez les professionnel.les des relations publiques et du public plus généralement. L’idée est que par une meilleure compréhension, on se donne une meilleure emprise sur la pratique : on tente de se donner des outils pour mieux la comprendre, mieux comprendre comment elle opère, pour ensuite poser un regard critique sur les enjeux sociaux, démocratiques ou culturels qu’elle pose. Au-delà de la critique normative parfois caricaturale à laquelle je faisais référence, il s’agit d’une critique peut-être plus « mesurée », pour reprendre le propos de Johanna Fawkes, mais aussi beaucoup plus exigeante. Parce qu’il n’y a pas de grands a priori théoriques, cette critique demande de remettre en question la façon dont les valeurs qu’on mobilise opèrent en pratique. Il s’agit donc de voir comment un travail bien « ordinaire » ou anodin réalisé au niveau micro, pensons aux relations publiques qui peuvent soutenir un lancement de livre par exemple, s’insère dans des dynamiques de communication plus larges, au niveau macro. C’est donc ça le regard critique que j’essaie bien humblement de développer. C’est un « miroir tendu » aux communicateurs, pour citer les travaux du RESIPROC, afin de les aider à réfléchir à leurs pratiques, une mise en perspective et une prise de distance pour se poser des questions plus larges. Sans démoniser et sans idéaliser la pratique, il s’agit donc d’essayer de voir ce qui s’y joue.

      Un des chapitres traite des liens entre le travail des professionnel.les en relations publiques et nos représentations sociales. Peux-tu nous en dire quelques lignes?

      C’est peut-être l’un des aspects avec lequel on est le plus familier : il y a de nombreuses études critiques qui ont porté sur les représentations portées par la publicité ou les médias en général. Ça me semblait quand même un thème incontournable, notamment parce qu’il permet de faire le lien entre les représentations qui sont portées par les professionnel.les et celles qui sont re-produites dans leur travail, de façon plus ou moins explicite ou intentionnelle. En nous intéressant aux RP en tant qu’ « intermédiaires culturels », on peut réfléchir à la façon dont la pratique s’insère dans la définition et la circulation de normes sociales – qui concernent tant les goûts ou les tendances que les modes de vie, par exemple. Ça permet aussi de souligner que c’est un milieu qui non seulement occupe une position généralement privilégiée, mais qui est généralement assez homogène, ce qui n’est pas étranger à la façon dont on y représente les publics. Tout ça participe de rapports de pouvoir, y compris dans les normes et représentations qui concernent le métier, en lien par exemple avec le leadership – qui répond à des modèles masculinisés, axés notamment sur la performance et l’assertivité.  

      Un dernier mot pour conclure?

      En proposant ce livre, j’espère surtout susciter des questions et donner envie à ceux et celles qui me liront de poursuivre la réflexion, de creuser les thèmes que je n’ai pas couverts ou pas assez approfondis. Je m’adresse aux universitaires, mais je voulais aussi le faire d’une façon qui reste suffisamment accessible pour permettre à un public plus large de se familiariser avec les RP et aux professionnel.les d’avoir accès à des pistes qui de nourrir une réflexivité par rapport à différents aspects de leur travail.  Seul le temps dira si j’ai atteint ces objectifs, mais je pense avoir réussi à donner matière à discussion autour des relations publiques, qui sont à mon avis trop souvent laissées pour compte comme objet de recherche.

      Le phénomène des relations publiques. Regard critique sur la pratique
      Presses de l’Université du Québec
      https://www.puq.ca/catalogue/livres/phenomene-des-relations-publiques-4045.html

      Questions à Michel Badré

      Michel Badré a piloté les débats publics sur le plan de gestion des déchets radioactifs et sur la nouvelle génération des réacteurs nucléaires. Il fut l’un des trois membres de la mission de médiation du projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes. Autant de sujets à controverses. A l’occasion de la parution de son ouvrage La démocratie environnementale face à la réalité, il a accepté de répondre à nos questions.

      • Sur le projet Notre-Dame-des-Landes, un élément majeur de la réussite de la mission de médiation repose sur votre méthode : Ecarter les hypothèses les moins réalistes; Ecouter les arguments du plus grand nombre des parties prenantes; Se concentrer sur les points les plus clivants; et objectiver ces points par des études indiscutables. Et pourtant au final, il semble que l’argument essentiel de la décision des pouvoirs publics ait reposé sur des questions d’ordre public. Est-ce aussi votre avis ?

      Les déclarations d’Edouard Philippe, à l’époque Premier Ministre, éclairent bien en deux temps l’argumentation de la décision finale : à la réception du rapport de médiation en décembre 2017 il déclare que ce rapport constate pour répondre aux besoins identifiés l’existence de deux options (aménagement de l’aéroport actuel, et projet de Notre-Dame-des-Landes débattu jusque-là), entre lesquelles il faut choisir, alors qu’ondisait qu’il n’y en avait qu’une (le projet NDDL). Et en janvier 2018 il indique que le choix du gouvernement est d’aménager l’aéroport actuel, parce que l’autre option « n’est pas réalisable ». C’est en effet certainement la question de l’ordre public qui est la plus déterminante pour écarter l’option Notre-Dame-des-Landes, mais il aurait été nettement plus difficile de faire passer cette décision (qui n’a finalement pas provoqué de forte opposition locale) si l’autre option n’avait pas existé, ou n’avait eu que des inconvénients par rapport au projet de Notre-Dame-des-Landes, ce qui n’était pas du tout le cas.

      • Sur le débat des nouveaux réacteurs nucléaires, vous dites que ce débat a été révélateur d’une tendance un peu structurelle en France où la concertation est utilisée non pas pour trouver la meilleure solution, mais en tant qu’alibi de communication pour crédibiliser le projet, sous prétexte que le public a pu s’exprimer. Cette situation peut-elle évoluer ?

      Je dirais plutôt qu’elle doit évoluer : il est difficilement acceptable du point de vue démocratique, sur un enjeu aussi important, de mener une concertation sur une décision dont il apparaît vite clairement qu’elle est déjà prise, sans option alternative réellement envisagée. Ce n’était même pas un alibi de communication, mais plutôt le respect d’une procédure réglementaire obligatoire, pour réduire le risque de contentieux : c’est ce qu’il ne faudrait jamais faire, pour maintenir la confiance du public dans le principe même de sa participation à l’élaboration des décisions.

      • Sur le plan de gestion des déchets radioactifs, vous regrettez que le débat n’ait intéressé que les professionnels et les experts. Comment faire pour intéresser un plus large public à des sujets aussi importants ?

      C’est surtout une question de temps, et de moyens. Le but n’est pas de forcer à participer des gens qui n’en ont pas envie, mais de comprendre les questions et les attentes de personnes qui ne sont pas familières avec le domaine technique du débat. L’expérience prouve que des groupes de personnes tirées au sort selon des critères de représentativité (genre, catégories d’âge, régions, catégories socioprofessionnelles, …), et avec qui on travaille pendant un temps suffisant (plusieurs week-ends) accèdent très bien à la démarche : cela a été fait dans le débat sur les réacteurs nucléaires avec un groupe de cette nature sur la question des risques, et avec un groupe de personnes en situation sociale difficile sur le thème général du débat, et cela a bien fonctionné.

      • Sur l’ensemble de ces projets, il semble qu’en démarrage des travaux, plutôt que de viser un consensus, vous cherchez d’abord à « trouver un accord sur les désaccords ». Cette méthode peut-elle être utilisée pour tous les débats publics ?

      J’en suis pour ma part très partisan. Le but n’est pas de compter les « pour » et les « contre » un projet, ni de trouver un consensus entre eux ; il est de mettre à plat, de façon rigoureuse, les arguments présentés par les uns et les autres, après avoir identifié avec eux les questions qui font réellement l’objet de désaccords argumentés. A titre d’avantage collatéral, la méthode permet aux participants défendant des points de vue opposés de mieux se connaître et se comprendre, et de constater que le but des organisateurs du débat n’est pas de les faire changer d’avis mais de les écouter en profondeur, à l’opposé de toute démarche d’instrumentalisation ou de manipulation.

      • Comment évaluez-vous le rôle des réseaux sociaux dans les procédures de débat public ?

      Mon expérience personnelle, à partir du débat sur les réacteurs EPR, est très négative : un débat de fond nécessite du temps, de l’écoute, de l’argumentation approfondie, ce qui paraît antinomique avec le mode de fonctionnement habituel des réseaux sociaux. Ceux-ci exercent par ailleurs un rôle très destructeur par le maniement des attaques personnelles qui s’y développent : les controverses de fond, normales sur des sujets complexes, y deviennent rapidement des prétextes à insultes, voire à instrumentalisation par des professionnels de la manipulation. Pourtant les organisateurs d’un débat ne peuvent empêcher le développement d’un débat parallèle sur les réseaux sociaux : un travail méthodologique  important reste donc à faire pour savoir mieux gérer cette situation inévitable.

      • Vous avez été vice-président du Conseil Économique Social et Environnemental. Quel regard portez-vous sur cette institution dans sa capacité à faire bouger les lignes en matière de politique publique environnementale ?

      Le rôle purement consultatif du CESE ne lui donne pas de capacité opérationnelle directe à modifier les politiques publiques. En revanche c’est un des rares lieux (peut-être le seul ?) où se rencontrent tous les « corps intermédiaires » pour dialoguer au fond sur tous les grands enjeux de société, dans un climat où chacun défend ses positions sans agressivité : syndicats, ONG, organisations professionnelles (y compris FNSEA et MEDEF…), etc. Alors que la structuration du droit du travail par des accords entre partenaires sociaux est très présente depuis la fin de la 2ème guerre mondiale dans la démocratie sociale, le CESE pourrait favoriser l’émergence de mécanismes semblables pour les décisions de politique environnementale : l’expérience positive, malheureusement sans lendemain, du « Grenelle de l’environnement » entre 2007 et 2009 a montré qu’il était possible de construire par la négociation des accords entre tous les partenaires sur des politiques environnementales : cette méthode devrait être reprise.

      Appel à Communications « Recherches comparées en Communication : Défis et opportunités de la communication au service du développement durable »

      Séminaire annuel de l’ACCS, 13 novembre 2025 à l’UM6P – Université Mohammed VI Polytechnique Rabat (Maroc)

      Dans un contexte de crises environnementales, sociétales et économiques croissantes, la communication est un enjeu stratégique pour sensibiliser, mobiliser, expliciter et accompagner les acteurs publics et privés vers des pratiques plus responsables (Catellani & Lits, 2024; Libaert, 2020; Motulsky et al., 2015). Toutefois, si la communication peut être un outil puissant au service du développement durable, elle est aussi confrontée à de nombreux défis et limites qui croisent des questionnements d’ordre socio-culturels et éthiques : greenwashing ou éco-blanchiment (Poivre-Le Lohé, 2016), résistances culturelles (Catellani et al., 2019), tensions éthiques (Libaert & Allard-Huver, 2014), diversité des contextes et des publics (Carlino & Stein, 2019), ou encore complexité des discours techniques et scientifiques en situation de controverse (Chavot & Masseran, 2010; Nisbet & Scheufele, 2009).

      La communication sur des sujets sensibles liés au développement durable tels que le climat, la biodiversité ou les respects des droits humains s’accompagnent et se confrontent bien souvent à un certain rejet des normes environnementales, de discours favorisant l’enjeu économique, opposant crises sociales et enjeux écologiques (Flipo, 2021) ou, au contraire, mettant l’accent sur le techno-solutionnisme qu’il soit numérique, énergétique ou encore lié à l’utilisation de l’IA (Allard, 2023; Morozov, 2014). Ces discours renforcent le besoin croissant de crédibilité et de légitimité des acteurs qui s’engagent et s’expriment sur ces sujets. A ce titre, la place des médias, des journalistes et des plateformes numériques est centrale dans la diffusion et la réception de ces messages, tout comme l’environnement médiatique changeant pose également des défis en matière de désinformation, de polarisation et de manipulation de la sphère publique sur ces sujets (Allard-Huver, 2021; Prodhomme et al., 2024; Stein, 2018). Enfin, la perception des publics face aux discours scientifiques et institutionnels varie en fonction des contextes socio-économiques et des trajectoires culturelles (Vollero et al., 2022), nécessitant une approche différenciée et inclusive de la communication au-delà des limites de l’incommunication (Wolton, 2013, 2022) et dans une vision renouvelée de l’acceptabilité sociale et ses enjeux (Friser & Yates, 2019; Gendron et al., 2024).

      Dans cette perspective, l’analyse comparée des stratégies, des discours et des pratiques de communication dans différents contextes culturels, politiques et économiques permet d’éclairer les conditions d’une communication efficace et éthique en faveur du développement durable. L’Académie des Controverses et de la Communication Sensible (https://academie-ccs.uqam.ca/) invite donc les chercheurs et les professionnels à participer à son séminaire annuel 2025 « Recherches comparées en Communication : Défis et opportunités de la communication au service du développement durable » avec pour enjeux d’y interroger les nouvelles formes et les nouveaux défis posés à la communication dans ce cadre. Chercheurs et professionnels de la communication pourront ainsi croiser leurs regards pour enrichir les approches et favoriser un dialogue entre la recherche académique et les expériences de terrain.

      Axes thématiques

      Les propositions de communication pourront s’inscrire dans les axes suivants (liste non exhaustive) :

      1. Comparaison des stratégies de communication environnementale : analyse des campagnes de sensibilisation, étude des discours et représentations du développement durable, efficacité des dispositifs en contexte de crise.
      2. Éthique et responsabilité de la communication dans la transition écologique : enjeux du greenwashing, transparence et régulation des pratiques professionnelles, responsabilité et éthique des professionnels de la communication et des médias.
      3. Mobilisation activistes et participation citoyenne : rôle des médias et des plateformes numériques dans la mobilisation collective, pratiques participatives et engagement des publics, stratégie des mouvements activistes.
      4. Numérique et développement durable : impact environnemental du numérique, potentialités et limites des technologies immersives et de l’intelligence artificielle pour la sensibilisation et l’éducation au développement durable, discours techno-solutionistes et leurs limites.
      5. Communication et responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : stratégies de communication des organisations, réception et perception des engagements des entreprises par les parties prenantes, relations avec les parties prenantes et lobbying.
      6. Approches critiques et non-occidentales de la communication en contexte de développement durable : pluralité des modèles de communication, influences culturelles, place de la diversité socio-culturelle dans la communication sur le développement durable.

      Modalités de soumission

      Une proposition de communication sous la forme d’un résumé de 500 mots maximum (hors bibliographie), précisant l’axe dans lequel s’inscrit la proposition, la problématique abordée, la méthodologie utilisée et les résultats attendus.

      Format attendu des propositions de communication :

      Les chercheurs et professionnels intéressés sont invités à soumettre une proposition de 500 mots maximum, hors bibliographie, sur la plateforme https://accs2025.sciencesconf.org/.

      Les propositions devront comporter les éléments suivants : 

      • Titre de la proposition ;
      • Axe dans lequel s’inscrit la proposition ;
      • Problématique, méthodologie et résultats préliminaires ;
      • Une bibliographie (5 à 10 références).

      Dates importantes

      • Date limite pour l’envoi de propositions : 15 mai 2025
      • Retour vers les auteurs : juillet 2025
      • Programmation finale : septembre 2025
      • Séminaire annuel : 13 novembre 2025


      Comité d’Organisation

      François Allard-Huver : fallardhuver@uco.fr  
      Meriem Idrissi-Kaitouni : meriem.idrissikaitouni@ocpgroup.ma
      Karine Johannes : karine.johannes@gmail.com
      Justine Lalande : lalande.justine@uqam.ca
      Thierry Libaert : thierry.libaert@uclouvain.be
      Bernard Motulsky : motulsky.bernard@uqam.ca
      Stéphanie Yates : yates.stephanie@uqam.ca

      Comité Scientifique :

      Andrea Catellani. Université Catholique de Louvain.
      Céline Cholet. Université Catholique de l’Ouest.
      Amélie Coulbault-Lazzarini. Université Grenoble Alpes.
      Finn Frandsen. Université d’Aarhus.
      Béatrice Jalenques-Vigouroux. INSA Toulouse.
      Winni Johansen. Université d’Aarhus.
      Audrey Knauf. Université de Lorraine.
      Isabelle Le Breton-Falezan. Sorbonne Université
      Erwan Lecoeur. Université Grenoble Alpes.
      Cyril Masselot. Université de Bourgogne.
      Arnaud Mercier. Université Panthéon-Assas.
      Nanta Novello. Université de Bourgogne.
      Céline Pascual-Espuny. Université Aix-Marseille
      Magali Prodhomme. Université Catholique de l’Ouest.
      Stéphanie Yates. Université du Québec à Montréal.

      ACCS

      10 mars 2025


      Dan Antoine Blanc-Shapira dirige l’agence Sensation!, une agence spécialisée en communication événementielle. Mais c’est surtout un des meilleurs connaisseurs de cette activité. Il fut notamment Vice-Président de la filière en France et à ce titre initiateur des chantiers Eco-responsabilité / Bonnes pratiques/ Evaluation des impacts / Démarche qualité.

      • Pouvez-vous nous présenter la situation actuelle de la communication événementielle ? La crise Covid aura-t-elle eu des impacts majeurs sur le long terme de l’activité ?

      Le COVID a été une période terrible pour la filière car celle-ci s’est arrêtée net du jour au lendemain … mais étonnamment, le manque a permis de faire prendre conscience aux organisations du rôle essentiel de l’événementiel : les rassemblements, les échanges, le « vivre ensemble » et à fortiori le « vivre-ensemble des moments forts », la sérendipité, cimentent les liens de la société (au sens d’un pays mais aussi au sens d’une entreprise ou organisation).

      Sans événements, le lien social se délite… et nous avons tous pu constater que si une « visio » ou une rencontre en distanciel étaient utiles pour relayer l’information, elles ne pouvaient pas se substituer à la richesse du rassemblement physique, créateur de liens.

      Clairement l’effet de la crise COVID a été la prise de conscience durable du rôle essentiel de l’événementiel (corroboré par la magie des Jeux Olympiques en France). Et l’activité de la filière s’en est fait l’écho : 2022, 2023 et surtout 2024 ont été des années fastes !

      Sans événements, le lien social se délite

      • Comment définiriez-vous l’impact du numérique sur la communication événementielle ?

      Le numérique ne remplace pas la rencontre ‘IRL » (« in real life »), mais il peut l’aider dans sa mise en œuvre (les outils de l’organisateur) et il peut « l’augmenter » dans sa forme (la mise en forme visuelle, les interactions, les personnalisations, …).

      Par ailleurs, plus les individus sont confrontés au numérique dans leur vie quotidienne (et/ou professionnelle), plus ils manifestent le besoin de se retrouver en live pour vivre une expérience en commun, sans écrans. De la même façon, le télétravail (permis par les outils digitaux) pour pratique qu’il soit, génère le besoin de ménager des moments de retrouvailles fortes (et sans doute, mais c’est un autre sujet, de réinventer le rôle du bureau).

      Pour résumer, l’on pourrait dire que les rencontres « à faible valeur ajoutée » peuvent utilement être remplacées par des visios, tandis que la multiplication du temps passé en distanciel nécessite de prévoir des moments événementiels à l’occasion de retrouvailles « en live ».

      • Et pour l’I.A., doit-on s’attendre également à un bouleversement profond pour la communication événementielle ?

      Évidemment ! L’ensemble de la société est et sera bouleversée par l’IA et à ce titre, les événements (reflets ou contre-reflets de l’époque) le sont et le seront aussi.

      Je distinguerai d’une part l’impact de l’IA en tant qu’outil : aide à la conception (je m’en sers personnellement comme punching ball pour tester et rebondir sur mes idées), capacité d’aller chercher très rapidement du contenu, aide à la mise en forme des concepts (visualisation sous forme d’images ou de vidéos, présentation des recommandations…), prise en charge de tâches répétitives… c’est donc un outil hyper puissant permettant de gagner du temps tout en préservant la « bande passante » de l’humain qui peut se concentrer sur la valeur ajoutée créative et stratégique.

      D’un autre point de vue, dans le monde virtuel (les réseaux sociaux) édulcoré à l’aide de l’IA, l’événementiel apparaît comme un espace de vérité : la rencontre en live permet d’entendre le « vrai » discours d’une personnalité et non sa manipulation. Les participants ne sont plus cachés derrière un « pseudo » mais en confrontation réelle. Certes, les « fake news » peuvent toujours être assénées (suivez mon regard), mais le public présent est en capacité (s’il le souhaite) de vérifier immédiatement les informations à l’aide de l’IA par exemple.

      Enfin, dans un monde qui communique de plus en plus en mode asynchrone (délai entre émission des messages, réception et réponse), l’événementiel demeure un des derniers bastions de l’échange synchrone (interaction en temps réel).

      L’événementiel demeure un des derniers bastions de l’échange synchrone,
      de l’interaction en temps réel

      • Comment caractériseriez-vous la spécificité même de la communication événementielle parmi l’ensemble des domaines d’action de la communication d’entreprise ?

      La spécificité de la communication événementielle est d’être extraordinairement efficace et rentable pour chaque € investi !

      Les résultats des études portant sur 173 événements évalués (17.756 personnes interrogées) à l’aide du « Bilan d’Impact stratégique événementiel LÉVÉNEMENT–Occurrence* font apparaître des moyennes d’impacts exceptionnelles : Taux de mémorisation de 75%, Attribution de 85%, Conviction de 84% (!), Adhésion de 69%, Motivation de 82%, Esprit d’équipe de 65% et… incitation à l’achat de 63%. Et pour couronner l’ensemble, un taux moyen de « bouche à oreille » (« en a parlé à quelqu’un ») de 12 personnes.

      Comment expliquer ces impacts hors norme ?

      Sans aucun doute, par les spécificités de la communication événementielle :

      – Les participants se déplacent volontairement (généralement) vers l’événement (≠ d’autres formes de communication subies) ;

      – L’événementiel rassemble un groupe certes restreint de participants (≠ mass communication), mais de façon plus impactante. Et le « rebond médiatique » et/ou la « résonance sur les réseaux sociaux » (User Generated Content) d’un événement peut toucher un public de masse (peu de personnes présentes, mais un écho pouvant toucher des millions de personnes à distance, en réseau).

      – Les participants sont « immergés » dans l’événement et l’ensemble de leurs sens sont sollicités. Ils captent donc plus fortement l’émotion et la force de l’expérience (bien plus que si un ou deux sens étaient sollicités) ;

      – Les participants vivent un moment « unique » (exceptionnel) qui marque une rupture avec le quotidien ;

      – L’événementiel génère un temps de contact long (une à plusieurs heures, voire plusieurs jours) qui permet la densification des messages ;

      – L’événementiel produit une interaction entre les émetteurs et les récepteurs (une véritable boucle, les uns devenant tour à tour émetteur et récepteur) ce qui augmente l’attention et l’engagement du public ;

      – … et il produit également une interaction entre les participants eux-mêmes (exemple : la « standing ovation » qui est un phénomène d’amplification de type « boule de neige »).

      • Existe-t-il des manières différentes de concevoir une opération de communication événementielle selon les types d’organisation, en termes de secteur d’activités ou en termes de distinction entre les entreprises et les organisations publiques (institutions, collectivités) ?

      Par définition, aucune action de communication ne peut être (ne devrait être) conçue sans tenir compte de ceux à qui elle s’adresse et de qui elle émane. Elle est donc forcément sur-mesure et toute erreur en la matière transforme l’action en échec.

      • Le sujet de l’impact environnemental et social des actions de communication événementielle est-il réellement pris en compte par les organisations qui vous sollicitent ?

      Nous avons initié dès 2006 avec mon confrère Benoît Désveaux, la démarche « éco événement » de l’ensemble de la filière événementielle (« filière précurseur » selon l’ADEME). Rapidement, nous avons élargi nos actions à l’ensemble du spectre de la RSE.

      Si durant les premières années, nous avions l’impression de « ramer sur le sable », force est de constater qu’aujourd’hui la filière et en fait l’ensemble de la société, ont pris conscience des enjeux. Mais si personne n’est ouvertement « contre » (du moins en France), certains ne sont pas encore assez « pour ». Cela veut dire qu’ils ne sont pas assez actifs ou engagés en la matière et ne se contentent que de quelques micro-actions symboliques.

      Grosso modo, 1/3 des clients de Sensation ! viennent à nous pour bénéficier de notre expertise en la matière, 1/3 des clients découvrent ou amplifient la démarche grâce à nos recommandations et 1/3 des clients… ne sont pas proactifs ou demandeurs en la matière (bien que nos process restent éco & socio engagés). Mais attention : nous n’avons jamais gagné un projet qui était « vert » mais pas bon stratégiquement ! L’événementiel, c’est une réponse pertinente à une problématique de communication et dont la mise en œuvre doit être la plus responsable possible. On peut rassembler tout en œuvrant vers le zéro déchet, on peut motiver tout en privilégiant les transports responsables, on peut fidéliser ou vendre tout en étant socialement engagés… !

      • Vous êtes aussi connu pour avoir organisé le championnat du monde d’échecs et les premiers grands événements échiquéens, quel regard portez-vous sur l’évolution actuelle du jeu ?

      Le Festival international des Jeux que j’ai créé à Cannes, il y a bientôt 40 ans, s’est développé fabuleusement pour rassembler, en 2025, 150.000 personnes en 4 jours. Le concept de tournois de jeu d’échecs en parties rapides et éliminatoires initié en 1990 au Théâtre des Champs-Élysées avec le Trophée Immopar et ensuite le Grand Prix Intel est devenu la norme du circuit international actuel. Par ailleurs, le COVID et la série « Le Jeu de la Dame » ont fait exploser le nombre de pratiquants (et de pratiquantes !) du jeu d’échecs dans le monde entier.

      L’évolution de l’informatique s’est trouvée illustrée par les très intenses confrontations entre l’ordinateur Deep Blue et Garry Kasparov. Si aujourd’hui, la relation entre l’homme et la machine ne se pose plus en termes de confrontation, elle s’épanouit dans l’aide à la réflexion et à l’apprentissage ainsi que dans les réseaux qui permettent de jouer à distance : des millions de joueurs s’affrontent quotidiennement en ligne sur l’échiquier.

      A noter que l’exponentielle croissance de la connaissance échiquéenne grâce aux moyens informatiques amène les champions à vouloir challenger leur créativité en s’adonnant au « Fischer Random Chess » ou au Freestyle chess qui cassent la théorie en débutant les parties par un placement aléatoire de certaines pièces.

      Mais pour revenir à l’événementiel, la partie d’échecs ou plus largement le jeu de société en live, dans un club ou sur un banc dans un parc, fait son grand retour ! Toujours ce fondamental besoin de la rencontre et de l’échange !

      Dan-Antoine BLANC-SHAPIRA – fondateur de l’agence événementielle Sensation !, cofondateur du collectif eco-evenement.org

      *A voir ou à lire :

      La mini-série « Rematch » de Yan England sur Arte (2024) retraçant en 6 épisodes l’incroyable match entre Deep Blue et Garry Kasparov

      Le documentaire « Garry Kasparov – Rebelle sur l’échiquier » 2024 de Tancrède Bonaro – Arte

      Le livre « La nouvelle révolution des échecs » de Peter Doggers ed. Buchet-Chastel 2024

      ACCS

      19 février 2025

      Notre prochaine conférence en ligne aura lieu le mercredi 26 mars de 18h à 19h30, (heure de Paris), sur le thème « Les nouveaux enjeux de la communication publique ».
      A l’heure de la montée de la défiance, de la numérisation des relations avec les usagers, de la désinformation, des coupes budgétaires et bien d’autres, nous nous interrogerons sur les nouvelles évolutions de la communication publique.

      La conférence se déroulera, dans une perspective comparative, avec des intervenants de différents pays:

      • Dominique Bessières (France), Maître de Conférences en Sciences de l’information et de la communication, à l’Université Rennes 2 – PREFICS, Spécialiste de communication publique. Expert de la recherche (HCERES, projets de recherche, thèses, colloques, revues), il est Vice-Président Relations professionnelles de la SFSIC, administrateur de Communication publique, membre de l’AFCI.
      • Philippe Dubois (Canada), Professeur en communication & gouvernance à l’École nationale d’administration publique (ENAP, Université du Québec) à Québec. Politologue de formation, ses champs d’expertise regroupent la communication et le marketing en contexte public et politique, les technologies numériques ainsi que les enjeux contemporains de gouvernance. Il dispose également d’une expérience pratique de la communication en contexte public, notamment en politique municipale et dans l’appareil gouvernemental québécois.
      • Gaël Lecomte (Belgique),Chargée de communication au Service Public de Wallonie et depuis 2021, Présidente du réseau de communication public belge francophone, WB COM’. Journaliste de formation, elle a développé depuis près de 20 ans une expertise en stratégie de communication des institutions et plans médias.
      • La conférence sera animée par Erwan Lecoeur, enseignant chercheur en Sciences de l’information et la communication à l’université Grenoble Alpes (UGA) et membre du laboratoire GRESEC. Consultant en communication publique et politique; Ancien directeur de la communication de la ville de Grenoble (2014-2017); Plusieurs années Directeur des études de l’institut Mediascopie (2002-2007). 

      Inscription et renseignements: academie-ccs@uqam.ca

      ACCS

      19 février 2025

      Leo Larivière est responsable du plaidoyer transition automobile et des relations parlementaires au sein de l’association « Transport & Environnement ». Il vient de publier « Quand la publicité s’oppose à la transition écologique » aux éditions de l’Aube.

      • Tu as travaillé particulièrement sur les imaginaires véhiculés par la publicité automobile. Pourquoi, selon toi, cette question représente un enjeu majeur ?

      Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la publicité automobile ne se limite pas simplement à promouvoir des marques ou des modèles de voitures. Elle joue un rôle bien plus profond en façonnant notre vision collective de la mobilité. À travers ses images et ses messages, elle impose des idées et des comportements, souvent sans qu’on en prenne vraiment conscience.

      Ce pouvoir des marques automobiles sur notre imaginaire collectif est un enjeu trop souvent ignoré dans les politiques de transition. Pourtant, son influence est bien plus grande que celle des institutions publiques. Chaque année, les marques investissent entre 2 et 5 milliards d’euros dans la publicité automobile. C’est un budget comparable à celui dont disposait Tony Estanguet pour organiser les JOP de Paris 2024 ! De quoi influencer en profondeur la manière dont les Français perçoivent la voiture et la mobilité en général.

      Dans cet essai, mon objectif est de remettre ces enjeux au cœur du débat. J’espère ainsi contribuer à une régulation plus juste et réfléchie des contenus publicitaires. Il est essentiel que les constructeurs automobiles et le secteur publicitaire ne détiennent pas le monopole sur ce que la société considère comme une mobilité désirable.

      • Tu as effectué un immense travail, peux-tu nous exposer ta méthodologie de recherche ?

      En 2020 et 2023, j’ai collaboré avec le WWF puis la Fondation Jean Jaurès pour étudier la contribution de la publicité à l’émergence des SUV. Nous avons analysé comment les marques automobiles ont voulu imposer ces modèles plus grands et plus rentables comme la nouvelle norme de la voiture désirable.

      Avec cet essai, travaillé avec les Editions de l’Aube, nous avons voulu élargir la réflexion à la publicité automobile dans son ensemble : qu’est-ce qu’elle nous montre réellement ? Quelle vision de la mobilité cherche-t-elle à promouvoir ? Et surtout, cette vision est-elle compatible avec les enjeux écologiques actuels ?

      Pour cela, j’ai conçu une grille d’analyse des imaginaires véhiculés par la publicité automobile, en m’appuyant sur une bibliographie approfondie. J’ai ensuite analysé 200 publicités diffusées en France entre 2022 et 2024. Le résultat est une synthèse assez fidèle des représentations publicitaires de la voiture et de la mobilité, que j’ai ensuite comparé aux besoins de la transition écologiques.

      • S’agissant de tes résultats, tu montres que la publicité automobile repose sur quatre modèles, peux-tu nous les présenter ?

      La publicité automobile nous vend avant tout un idéal de mobilité illimitée, sans bornes, une capacité à conquérir tous les espaces, à tout moment, seul ou avec nos proches.

      Elle nous propose aussi une promesse d’émancipation et de distinction individuelle : la voiture comme symbole de réussite, d’intégration sociale, de richesse. Cet imaginaire est complété par celui de la vie sociale épanouie, où l’usage d’une grosse voiture devient synonyme de bonheur familial ou de proximité accrue avec ses proches.

      La publicité véhicule enfin une foi inébranlable dans le progrès et la modernité, où chaque innovation chasse la précédente, nous entrainant dans une course technologique sans fin.

      Diffuser partout ces imaginaires est au cœur de deux grands paradoxes de notre siècle.

      D’une part, comment la voiture peut-elle échapper aux tensions politiques, quand la promesse publicitaire s’oppose aussi frontalement à la réalité concrète des automobilistes, bien plus marquée par le « bouchons-pognon-pollution » que par la liberté et l’évasion ?

      D’autre part, comment repenser notre rapport à la voiture et nous orienter vers des modes de mobilité plus sobres, plus collectifs, quand des milliards sont investis chaque année pour entretenir la désidérabilité d’une mobilité automobile solitaire et sans limites ?

      Je suis convaincu que nous ne pourrons pas réussir sereinement la transition écologique tant que ces imaginaires publicitaires continueront de s’y opposer de manière aussi directe.

      • Dans tes résultats étonnants, tu indiques qu’en dehors d’une baisse du sexisme dans la publicité automobile, les imaginaires publicitaires n’ont que très peu évolué depuis un demi-siècle. Comment expliques-tu cela alors même que le secteur automobile est le premier annonceur de la publicité RSE et que celle-ci représente plus de 10 % de l’ensemble des dépenses publicitaires ?

      Ces budgets alloués à la RSE reflètent probablement une volonté de réorienter la publicité vers des produits plus durables. C’est particulièrement visible dans le secteur automobile, où la voiture électrique devient le héros de nombreuses campagnes, représentant environ deux tiers des publicités que j’ai analysées.

      Cependant, la transition écologique ne se limite pas à un simple changement technologique. Les voitures de demain ne doivent pas se contenter d’être électriques plutôt que thermiques ou hybrides, elles doivent être conçues de manière plus sobre, être utilisées moins fréquemment, de manière plus collective et, dès que possible, rester au garage.

      On est loin des représentations actuelles dans la publicité automobile, où l’absence de limites et les SUV continuent de définir l’image d’une mobilité désirable !