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ACCS

30 septembre 2024

Spécialiste des marques, du branding, du storytelling, des mythes, de l’Europe, enseignant qui a marqué des générations d’étudiants par une pédagogie hors pair, Georges Lewi nous fait l’honneur de répondre à nos questions.

Entretien par Thierry Libaert.

  • Comme spécialiste des marques, considérez-vous que tout est « marque » ? (Ou réservez-vous l’appellation au domaine commercial ?)

Il y a « marque » quand il y a choix. Et par conséquent possibilité de préférence. Bien-sûr dans le domaine commercial où la concurrence fait souvent rage entre les différents acteurs sur différents types de positionnements : niveaux de prix, ciblage, idées portées et soutenues par une marque, historique, type de relation aux collaborateurs, aux clients…Cette définition signifie qu’il peut y avoir également  des « marques politiques », territoire où le choix est la règle : ce sont les marques des partis politiques (souvent des marques faibles) et des candidats. Lors d’élections, le citoyen a le choix et se comporte, quelquefois, comme un consommateur, allant au plus séduisant…Les idéologies, les grandes idées  peuvent également être apparentées à la logique de marques auxquelles certains consacrent temps et argent pour les soutenir ou les combattre.

  • Comme évolution sur la relation aux marques, vous aviez déjà évoqué la réduction du cycle de vie des marques. Voyez-vous autre chose qui caractérise notre relation actuelle aux marques ?

Les marques anciennes subissent, comme les idées anciennes, une « revue de détails » de la part des nouvelles générations. On ne veut pas nécessairement ressembler à son grand-père, son père, sa grand-mère, sa mère…Le plus facile pour le montrer est de « changer de marque » comme on change de tenue vestimentaire (les deux étant souvent liés). Le cycle de vie des marques, pas assez pris en compte à mon sens, montre que si papa était Citroën, pour s’émanciper (ce que l’on croit), on choisira une autre marque, peut-être même pas française…Les marques portent des idées, des idéologies quelquefois, des symboles en tous cas d’un mode de vie. Tous les 20 ans, toute marque est confrontée à ce passage générationnel. Les marques de chaussures et de textile, actuellement, en savent quelque chose. Les générations Z ne veulent plus de ces marques du passé qui mettent la clé sous la porte sauf si les managers de ces marques ont pris assez tôt  conscience de ce phénomène. Ces managers avisés reviennent alors aux fondamentaux de la marque et cherchent à adapter ceux-ci aux nouvelles exigences. En fait, la logique de marque ne vieillit pas, la marque demeure « un repère mental sur un marché ». Mais les générations se méfient plus aujourd’hui qu’hier des temps d’avant et des marques qui accompagnaient les générations d’avant. Les réseaux sociaux ont accéléré le phénomène car les consommateurs ont pris la parole, s’influencent les uns, les autres. Ce sont eux, désormais, le porte-parolat de la marque. L’émetteur n’est plus du même côté !

  • Avec la distanciation, le numérique, la perte de confiance, les marques apparaissent toujours plus controversées et pourtant elles restent des repères intangibles dans la vie de chacun, comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Faute de mieux, malheureusement, les marques sont devenues, trop souvent, nos « mythologies contemporaines ». Sapiens (nous) vit sur une cinquantaine d’idées depuis la nuit des temps. Pas plus ! Ce sont nos mythes, nos représentations, nos invariants. Quand Yves Rocher nous parle « nature » et L’Oréal « science », ce sont deux représentations antagonistes de la beauté qui s’offrent à nous. Laquelle choisir ? Notre histoire, nos mythes fondateurs nous dictent la marque la plus représentative de nous-mêmes. La marque est, à la fois intangible dans ses représentations éternelles de nos peurs, de nos angoisses, de nos joies et très tangible dans ses produits et services. Cela fait sa force : la marque est le mariage des contraires, le surréel et le réel, l’idéal et sa valorisation, le pensé et l’impensé. Comment pourrait-elle disparaitre ? Ce serait notre propre disparition.

  • Vous avez écrit il y a dix ans que l’Europe était un bon mythe, mais une mauvaise marque, vous le pensez toujours ?

L’Europe est, à coup sûr, un bon mythe, une belle représentation, celle de la paix dans un continent où la guerre fut, des siècles durant, le quotidien des peuples. En toute logique, les Européens s’e trouvèrent heureux de ce dénouement pacifique fondé d sur de l’économie, du juridique, des traités, des accords, des contraintes… Longtemps, la narration (le récit trop rationnel) de l’Europe politique ne fonctionna pas. Il faut du temps, là encore ! Puis vint Covid, la guerre russe contre l’Ukraine et ces dures réalités des Européens rejoignirent alors les symboles européens sympathiques comme Erasmus, l’Euro, le passage des frontières sans passeport…Désormais, plus aucun peuple (ni aucun parti) ne veut quitter l’Europe même si la plupart veulent en modifier les institutions.

Le choix est fait, et, il est plutôt en faveur de l’Europe. La marque Europe a pris sa place parmi les représentations de l’identité de confort à défaut d’une identité de cœur. Comme on choisit, en France, EDF pour son électricité plutôt que les marques alternatives. C’est un choix par analyse raisonnable, par sécurité. Ce type de choix fait 50% du choix des marques, en particulier lorsque le vital est en jeu. Oui, désormais, Europe est une vraie marque, et, sans doute, une bonne marque même si les institutions semblent toujours aussi opaques, même si l’émetteur semble toujours confus, même si les citoyens n’élisent pas directement les dirigeants…même si…Europe est une marque de preuves, à défaut d’être une marque d’amour.

  • Considérez-vous qu’il soit réellement possible de calculer avec précision la valeur financière d’une marque ?

Quand il y a choix et possibilité de préférence, il y a dans notre système de valeurs économiques (où l’on fait chaque année le classement des milliardaires plutôt que celui des multi-diplômés ou des multi-valeureux), une valorisation financière des marques et de leurs produits ou services. Si vous pensez que Danone est meilleur pour vous que la marque lambda de yaourts, vous acceptez d’en payer le prix. Les produits Danone, comme la voiture Mercédès se paie alors plus cher. 20% environ pour Danone ! C’est la « prime de marque » que le consommateur accepte de payer pour cette marque. Sur 25 milliards de chiffre d’affaires, cela représente 5  milliards de « price power », de survaleur payée pour acheter un produit Danone chaque année par les consommateurs. Le poids de la valeur de la marque Danone  est objectivement difficile à contester. On nomme ce type de calcul de valorisation « par les revenus » car une marque forte rapporte plus de revenus qu’une marque faible. Et les marketers font tout pour que cela dure ! Mais ce n’est pas si facile d’y parvenir, de se maintenir et le temps (encore lui !) est souvent le meilleur atout d’une marque qui devient alors patrimoniale.

ACCS

3 septembre 2024

Dans la série « nos grands prédécesseurs », après André de Marco et Jean Pierre Beaudoin, pionniers de la communication d’entreprise et des relations publiques, place à Jean Pierre Raffin. Jean Pierre Raffin est un des précurseurs de l’enseignement de l’écologie en France, il a aussi été Président de France Nature Environnement et député européen.

Entretien par Thierry Libaert.

Q : Vous avez été un des précurseurs en France de l’enseignement de l’écologie. Vous avez d’ailleurs fondé la discipline en 1970 à l’Université Paris VII avec François Ramade. Bien que la défense de l’environnement s’appuie depuis fort longtemps sur des données scientifiques indiscutables, celle-ci tend à régresser un peu partout dans le monde. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    Effectivement, dans mon domaine de compétence : la diversité du monde vivant, je constate que plus les données scientifiques s’ajoutent moins les responsables économiques et politiques en tiennent compte voire reviennent en arrière. Je pense que le volet « diversité du vivant » de la transition écologique est moins perceptible tant à l’opinion publique qu’aux décideurs à la différence du volet climatique. L’impact de la disparition d’une part du monde vivant, à long terme, est moins visible que celui des événements climatiques même si comme le disait l’écologue Robert Barbault (2006) la biodiversité est l’assurance-vie de l’humanité.

    S’ajoute le fait que dans les années 1980, l’enseignement universitaire a délaissé la biologie naturaliste au profit d’une approche biomoléculaire du monde vivant et tout récemment, comme l’a fait remarquer Philippe Grandcolas (2021) , dans l’enseignement secondaire , les programmes relatifs au fonctionnement des écosystèmes et au rôle de la diversité biologique ont été supprimés. Pour ce qui concerne la France, le fonds culturel est encore marqué des idées anthropocentriques du siècle des Lumières où l’homme « maître et possesseur de la nature » n’a pas à faire grand cas des vivants non-humains. L’on peut aussi évoquer le rôle du christianisme notamment catholique qui n’a retenu du récit de la Genèse  que la multiplication du genre humain (alors qu’il ne s’agissait que d’un réflexe de survie du peuple hébreu en exil à Babylone) et la « domination » de  l’homme  taisant les passages de la Bible (Gn9, 9-10) où Dieu fait alliance, après le déluge  avec le peuple hébreu et « tous les êtres vivants (…) oiseaux, bestiaux, toutes les bêtes sauvages ».

    Q : Vous avez également un long parcours de militant environnemental. Vous avez été Président de France Nature Environnement, parmi les premiers membres du Comité de Veille Ecologique à l’époque de la Fondation Nicolas Hulot. Quel regard portez-vous sur la communication des associations environnementales à l’heure où l’on observe de plus en plus de mouvements de désobéissance et parfois de fortes violences ?

    Dans la communication il y a deux éléments : le message émis et sa réception. Ce n’est pas parce que telle ou telle, organisation délivre un message qu’il est repris et diffusé. Force est de constater que les médias s’intéressent plus aux actions spectaculaires, aux coups médiatiques qu’aux actions de fond, travail quotidien au ras des pâquerettes quelle que soit la communication faite. Il est donc difficile d’évaluer l’action des mouvements environnementalistes sur le seul écho médiatique qui, de facto, ne reflète pas la réalité.  Pour prendre un exemple concret Greenpeace organise des actions médiatiques qui contribuent à la sensibilisation de l’opinion publique et peut la mobiliser mais ne mène pas d’actions de terrains au  quotidien (contentieux pour faire appliquer lois et règlements, gestion d’espaces naturels, fabrication d’outils pédagogiques, etc) qui  sont le lot de bien des associations.

    Q: Vous avez également un parcours politique très riche, que ce soit en France avec votre participation en cabinet ministériel, à l’origine de Europe Ecologie puis comme député européen. Peut-on espérer du monde politique qu’il agisse réellement pour lutter contre le dérèglement climatique et pour la sauvegarde de la biodiversité ?

    Je n’ai participé qu’à un seul cabinet, celui de Dominique Voynet, ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, de juin 1997 à septembre 1999.

    Auparavant j’avais été co-député (1989-1991) et député (1991-1994) au Parlement européen, sur un poste d’ouverture chez les Verts, c’est-à-dire san être membre des Verts. J’ai adhéré chez les Verts en 1995 que j’ai quitté en 2006, période où je n’étais qu’un adhérent de base, hors mon séjour au cabinet de Dominique Voynet. J’ai ensuite, après avoir été président du Rassemblement pour une Europe écologiste (REE), association support de la liste  Europe-Ecologie aux élections européennes de 2009, conduite par Daniel Cohen-Bendit , adhéré à Europe-Ecologie-Les Verts de 2010 à 2012.

    On peut toujours espérer mais ces temps derniers les politiques exerçant le pouvoir ont été plutôt prolixes en discours qu’en actes et une partie de ceux qui souhaitent les remplacer ne semblent guère différer voire augurerait d’un retour en arrière.  Je fais actuellement beaucoup plus confiance aux acteurs de terrain.

    Q : Vous vous êtes beaucoup interrogé sur des notions comme celle de nature, d’environnement, de radicalité, sur les relations entre l’homme et la Nature. Selon vous, que faudrait-il faire pour réellement sensibiliser à la protection de l’environnement ?

    Il  faudrait  d’abord définir ce que l’on entend par « protection de la nature » et « protection de l’environnement ». Agir pour que mon environnement urbain ne soit pas pollué par les émissions des véhicules qui y circulent (gaz d’échappement, particules d’amiante, etc) n’a rien à voir avec le maintien d’une diversité  de la flore  et de la faune  qui ont longtemps cohabités avec les humains en ville et qui ont disparu ou sont en voie de disparition. Je pouvais, par exemple, au début des années 1970, montrer à mes enfants, dans mon environnement urbain immédiat : moineaux, martinets noirs, hirondelles de fenêtre, etc. Je ne peux le faire pour mes petits-enfants.

    Pour ce qui concerne la protection de la nature je reprends ce qu’écrivait Jean Dorst en 1965 (Avant que Nature meure) : « L’homme a assez de raisons objectives pour s’attacher à la sauvegarde du monde sauvage. Mais la nature ne sera en définitive sauvée que par notre cœur. Elle ne sera préservée que si l’homme lui manifeste un peu d’amour, simplement parce qu’elle est belle et parce que nous avons besoin de beauté, quelle que soit la forme à laquelle nous sommes sensibles du fait de notre culture et de notre formation intellectuelle.  Car cela fait partie intégrante de l’âme humaine. ». C’est d’ailleurs après avoir lu Dorst et Julien ( L’homme et la nature, 1965) que je me suis « engagé » en protection de la nature comme bien des naturalistes (alors jeunes …) de ma génération. Pour ce qui concerne « l’environnement » la sensibilisation peut user de l’argument santé au sens large.

    Q : Vous avez été Président du Parc National des Ecrins et vous êtes toujours membre de son Conseil Scientifique. Vous pensez que la défense de l’environnement doit d’abord passer par la sauvegarde de notre environnement de proximité ?

    Non , je suis membre du Conseil scientifique du Parc national des Ecrins depuis 1979 et j’en ai , un temps, assuré la présidence (2002-2006) ainsi que ,la présidence du Collège des présidents de conseils scientifiques de Parcs nationaux (2005-2006). Mais j’ai aussi été membre du Conseil d’administration du Parc national des Ecrins (1978-1989/1995-1997 et 2014-2021).

    Même interrogation que précédemment à propos de « l’environnement » mot valise dont jadis François Ramade  disait que ne reposant sur aucun fondement scientifique il était peu opérationnel.

    C’est quoi mon environnement de proximité ? L’Europe, par rapport au monde, la France par rapport à l’Europe, mon quartier par rapport à Paris, le chalet familial de mon épouse en Vallouise par rapport aux Hautes-Alpes, la maison familiale de mes parents en Brionnais  par rapport à la Saône-et-Loire ? Ils sont tous, à un moment ou à un autre mes environnements de proximités.

    Nous nous sommes entretenus avec le professeur et vice-président de l’ACCS, Bernard Motulsky au sujet de son nouveau livre « L’art de parler aux journalistes », rédigé conjointement avec René Vézina. À travers cet entretien, Bernard nous a partagé ses réflexions sur les évolutions récentes du paysage médiatique, l’impact des médias sociaux, et les défis posés par les fausses nouvelles.

    Entretien par Justine Lalande

    Justine Lalande : Vous avez décidé de mettre à jour votre précédent ouvrage “Comment parler aux médias” et de publier “L’art de parler aux journalistes”. Quelles sont les principales évolutions que vous avez observées dans l’univers des médias depuis la publication de votre premier livre ?

    Bernard Motulsky : Plus qu’une simple mise à jour, il s’agit d’une réécriture complète, après 16 ans. Ne serait-ce que parce que les journalistes et les émissions dont nous faisions mention dans la première édition n’existent plus. Mais plus encore, le paysage médiatique a subi un chambardement complet ces 10 dernières années, principalement à cause de la perte des revenus publicitaires. Le numérique, notamment Google et Meta, capte environ 80 % des revenus publicitaires qui allaient auparavant à l’audiovisuel, aux journaux et à la télévision. Cela a conduit à la disparition des médias régionaux, à la consolidation de certains médias, et à la réduction du personnel dans les salles de presse, ainsi qu’à l’élimination des journaux papier.

    Ce changement a aussi un impact direct sur les relations publiques. Moins il y a de journalistes, plus il est difficile de trouver un journaliste qui souhaite parler de nos nouvelles. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de personnes travaillant en relations publiques : on parle d’environ 4 communicateurs pour 1 journaliste, alors qu’il y a 20 ans, c’était l’inverse. Cela exige aux communicateurs d’être plus performant, stratégique, et de produire des contenus plus pertinents.

    Justine Lalande : Dans votre livre, vous abordez l’écosystème médiatique dans son ensemble, y compris l’impact croissant des médias sociaux. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont les médias sociaux ont influencé la relation entre les individus et les journalistes ?

    Bernard Motulsky : Les médias sociaux ont transformé la diffusion des messages et des communiqués. Désormais, politiciens, artistes, cadres et vedettes utilisent ces plateformes pour leurs déclarations, remplaçant les outils traditionnels. Les journalistes doivent désormais suivre attentivement ces publications sur les médias sociaux. Les communicateurs peuvent ainsi diffuser plus rapidement leurs nouvelles, sans avoir besoin de l’intermédiaire que représente le journaliste.

    Cela fait aussi que les journalistes sont aussi obligés de publier sur ces plateformes, car c’est là que circule l’information. Ils publient souvent en trois phases : une brève sur les réseaux, l’article complet sur les sites web de médias, puis ensuite, ils publient des réactions ou des interactions par rapport à leur article. Cela peut évidemment générer un stress psychologique, mais cette instantanéité qu’offre les plateformes permettent de mesurer immédiatement les réactions du public.

    Malgré ces changements, le rôle des journalistes reste fondamental et n’a pas changé sur le fond. Ils demeurent la principale source d’information crédible et professionnelle.

    Et je dis souvent que c’est normal d’être stressé avant de parler à un journaliste, mais on doit avoir en stress acceptable, pas un qui nous empêche de leur parler. Et surtout, méfiez-vous du jour où vous ne vivez plus de stress !

    Justine Lalande : Dans un monde où les nouvelles circulent rapidement et où les fausses nouvelles sont malheureusement présentes, comment peut-on, en tant qu’organisation ou individu, présenter une perspective équilibrée et informée dans un environnement où les récits simplistes et sensationnalistes semblent souvent prévaloir ?

    Bernard Motulsky : Je ne suis pas entièrement d’accord avec l’affirmation que les fausses nouvelles ont plus d’impact aujourd’hui. Les tabloïds et les publications sensationnalistes existent depuis que les médias existent. Les idées farfelues circulent mieux, certes, mais elles n’ont pas nécessairement plus d’impact. Ce n’est pas parce que quelqu’un qu’on connait vaguement, qui écrit une publication un peu fantaisiste qui sera lue par 30 ou 40 personnes, qu’elle aura de l’influence. La grande différence c’est que les idées farfelues qui circulaient avant émanaient de groupes organisés, avec des stratégies de communication alors qu’aujourd’hui, elles peuvent venir de tout le monde. Certes, les médias sociaux nous exposent davantage à ces contenus, mais cela ne signifie pas qu’ils ont plus d’influence. Et oui, il y a plus de clivage dans les idées, aux États-Unis et en France notamment, mais je ne suis pas certain que ce soit lié aux médias sociaux.

    La seule façon de contre balancer une fausse information, est d’en donner une vraie. Et les communicateurs sont souvent au fait de où et comment les décisions se prennent. On peut faire un long bout de chemin en expliquant clairement les décisions et les processus, si les organisations acceptent d’en parler. C’est une de mes découvertes !

    De plus, la curiosité du public est courte. Le véritable défi des communicateurs est de pouvoir communiquer la complexité de manière concise. Parmi les 10 commandements dont on parle dans le livre, mon préféré est « Sois bref ou tais-toi ».

    Justine Lalande : Vous avez une expérience considérable dans le domaine des médias et des communications. Pouvez-vous partager avec nous une anecdote ou une leçon que vous avez apprise au cours de votre carrière, qui illustre l’importance d’une communication efficace avec les journalistes ?

    Bernard Motulsky : Un événement qui m’a particulièrement marqué est la crise d’Oka, au Québec, sur le territoire autochtone de Kanesatake, en 1990. On avait un contexte en pleine tension, il y a eu un mort et l’armée canadienne a été appelée par le Premier ministre du Canada pour régler le conflit. Alors qu’on n’imagine pas que l’armée soit nécessairement maître dans l’art de la communications, elle a mené une opération de communication fascinante. Ils ont pris le temps d’expliquer leurs actions, comment ils n’allaient pas utiliser la force, avec des briefings réguliers aves les journalistes. Ils ont fait des schémas pour bien expliquer comment ils allaient s’y prendre. Cette communication a permis, notamment, que les barricades soient levées sans effusion de sang, évitant la catastrophe humanitaire qu’on prévoyait.

    Parmi les nombreuses leçons que l’on peut tirer de ce conflit, ça a notamment démontré l’importance de la communication avec les journalistes. Des communications efficaces peuvent aider à résoudre des conflits en mettant sur la table les intentions et les points de consensus. Tous les conflits finissent un jour, ça peut prendre 30 jours, 30 ans, 100 ans. Mais une chose est certaine: la communication peut accélérer ce processus.


    Sur le même sujet, écoutez la critique de la chroniqueuse Valérie Gaudreau à propos de cet essai : un petit guide fort intéressant pour quiconque pourrait être appelé un jour à être la source d’un journaliste… https://www.youtube.com/watch?v=REnbUL_q4hw

    Jean-Pierre Beaudoin a été à l’origine de la création du syndicat des relations publiques en France. Auteur de nombreux ouvrages, il a longtemps enseigné au CELSA où il fut l’un des professeurs les plus appréciés des étudiants en communication. Son agence I&E fut une pépinière de futurs talents dans les relations publiques et la communication des organisations. Il répond ici à nos questions sur le paysage des relations publiques.

    Entretien avec Thierry Libaert.


    TL : Vous avez été parmi les premiers grands professionnels de la communication à être diplômé d’une formation universitaire en communication. Peut-on encore imaginer aujourd’hui être un responsable de communication en entreprise ou en agence sans disposer d’une formation en communication ?

      Le parallélisme des évolutions entre nombre de professionnels du secteur, position de la fonction dans les organisations et niveau de formation au nombre croissant des métiers qui composent la profession donne une réponse de fait à la question. Toutes le pentes sont vers le haut. Plus les enjeux d’opinion, d’image et de réputation, autour de la valeur économique des marques notamment, deviennent cruciaux dans la société comme dans les marchés, plus le niveau professionnel doit être assuré. Cette assise de compétence résulte en particulier du passage par des formations spécifiques, qui elles-mêmes se sont multipliées, diversifiées et « musclées » pour accompagner les besoins.

      TL : Vous avez commencé votre carrière en 1970, selon vous qu’est-ce qui a le plus changé dans la communication des organisations ?

      Le changement le plus radical est sans doute le passage de la valeur du bruit à la valeur du silence. Aujourd’hui, le « bruit médiatique » est acheté comme une « commodité », alors que la capacité à « produire du silence » est devenue une spécialité à forte valeur ajoutée. Cela signale le fait que l’initiative est largement passée des dirigeants aux citoyens, des institutions aux opinions. La compétence en communication de crise, en communication dite « sensible », est plus demandée que jamais. D’où aussi la multiplication des formations sur ce thème. De niveaux et valeurs divers.

      Toutes les composantes de la communication d’aujourd’hui existaient déjà il y a 50 ans. Et avant. Leurs modalités techniques ont profondément changé, bien entendu. Le centre de gravité des politiques de communication s’est aussi déplacé. On est passé, schématiquement, du besoin de notoriété au besoin d’image, puis de réputation, puis d’influence. La logique de fond est toujours la même, qui est d’orienter les opinions, les décisions, les choix de tiers.

      Mais c’est surtout la société qui a changé et qui a conduit la communication à s’adapter : il faut être à la fois cohérent dans la durée et réactif à l’instant, plus proche des publics, qui se considèrent chacun comme unique, et plus global avec l’opinion, qui s’agrège sur des réseaux mondiaux. #metoo, ce sont des personnes. La rue Saint Guillaume, c’est une place publique pour les vents du large.

      Tout cela a modifié l’équilibre entre écoute et parole dans les temps de la communication.

      TL : Faites-vous une différence entre Communication et Relations Publiques?

      Les relations publiques sont une des disciplines de la communication. La question m’avait d’ailleurs été posée aux tout débuts de l’utilisation du terme « communication » comme tentative de substitution à celui de « relations publiques » ou de « publicité », à une époque où ces deux termes étaient vécus comme péjoratifs. Ma réponse n’a pas changé. Les relations publiques, c’est la discipline qui vise à établir et maintenir des relations efficaces avec des publics utiles. Reste à définir « efficace » et « utile ». C’est le cœur de notre fonction.

      TL : Vous avez dirigé le groupe I&E qui a été racheté par WPP qui l’a fusionné avec Burson-Marsteller, lui-même ensuite fusionné avec Cohn & Wolf puis dernièrement avec Hill & Knowlton. La concentration des agences de relations publiques est-elle inéluctable ?

      C’est la plasticité des organisations dans leur configuration sur des marchés. Chacune trouve ses interfaces et il s’en crée constamment de nouvelles. La vie, en somme.

      TL : Vous êtes un praticien qui a la particularité d’avoir été toujours proche des universitaires. Comment peut-on rapprocher ces deux univers ?

      Il faut que le goût en existe des deux côtés. Les deux ne sont jamais aussi féconds que quand ils se rencontrent vraiment. C’était l’intuition du Professeur de philosophie Charles-Pierre Guillebeau, créateur du CELSA en 1957. Paradoxalement, il y a une certaine méfiance, parfois un certain dédain, de part et d’autre. De certains praticiens pour les « intellos » et de certains universitaires pour les « mercantiles ». Dans nos métiers, on voit bien cependant que les recherches en sciences humaines produisent des trésors. Au moins dans les trois langues que j’ai la chance de parler : le français, l’anglais et l’allemand. Les traductions de l’allemand sont parfois un peu lentes à venir, mais alors on salue à juste titre Hartmut Rosa ou Niklas Luhman comme on avait salué Jürgen Habermas ou, avant lui, Hans Jonas par exemple. Et le renouvellement des auteurs en français est significatif d’une grande vitalité de ce champ. Génération après génération. Regardez l’héritage entre autres de Michel Serre, aujourd’hui la vitalité de Gérald Bronner, Cynthia Fleury ou Etienne Klein, par exemple. Leur résonance dans la société et l’opinion ne peut pas nous laisser indifférents. Pas plus que celle, persistante, de leurs grands prédécesseurs.

      TL : Notre Académie est à l’origine franco-belgo-québecoise. Voyez-vous des manières différentes selon les pays d’aborder les relations publiques?

      La chance que j’ai eue de rencontrer des professionnels de nombreux pays et de travailler avec eux dès le début des années 1970 autour de grands clients communs m’a fait découvrir que nous pratiquons bien le même métier. Ce qui change, ce sont les contextes dans lesquels notre pratique s’exerce. Et le même constat vaut pour le champ universitaire : on peut enseigner nos professions dans tous ces contextes et être pertinent. Mais à condition d’interroger les réalités de la société que nos méthodes, nos principes et notre déontologie commune doivent prendre en compte. La culture est une réalité puissante.

      Olivier Cimelière est un des meilleurs connaisseurs de la communication d’entreprise grace à sa double casquette de praticien et d’observateur. A l’occasion de la publication de son dernier livre “Entreprises, et si vous arrêtiez le coup de com”, il a bien voulu répondre à nos questions.

      Entretien avec Thierry Libaert.


      TL : Les controverses semblent se radicaliser toujours davantage. Comment expliquez-vous cette montée de la radicalité? Les réseaux sociaux sont-ils seuls responsables?

      OC : Les réseaux sociaux ont indéniablement eu un effet à la fois propagateur et accélérateur. Néanmoins, ils ne sont que le véhicule d’une défiance sociétale qui n’a jamais cessé de se creuser depuis deux décennies. Le Trust Barometer d’Edelman le confirme année après année depuis 24 ans. Les acteurs comme les décideurs politiques, les médias et à un moindre degré les entreprises, sont perçus comme non-dignes de confiance de la part des citoyens. A cela, s’ajoute une autre dimension qui confère aux controverses, un écho inédit : l’instantanéité de l’information. Le moindre sujet polémique devient généralement très vite inflammable.

      Les radicalités en soi ont toujours plus ou moins existé au sein de la société. Simplement, on ne le perçoit plus pareillement car en s’emparant des réseaux sociaux pour amplifier leurs thèses, elles ne sont plus confinées à l’écart des médias. Elles parviennent à générer du bruit en mettant en scène leurs actions plus ou moins violentes. Pourtant, ces radicalités qui s’expriment sont fréquemment le fait de groupuscules qui donnent l’impression d’être actifs et influents parce qu’ils font précisément du bruit et qu’ils recourent au spectaculaire et à l’argumentaire binaire et parfois carrément menaçante pour laisser penser qu’ils sont nombreux. C’est rarement le cas.

      TL : Que peuvent faire les entreprises pour se prémunir de cette radicalité?

      OC : Les entreprises sont clairement des cibles de choix même si le risque peut varier d’un secteur d’activité à un autre. Mais elles peuvent se retrouver prises au piège de controverses qui dépassent leur simple dimension économique.

      Aujourd’hui, personne n’est invulnérable face à un déferlement numérique et médiatique. Il convient donc de mettre en place un dispositif de veille sensible permanent pour être en mesure de repérer d’éventuels signaux faibles, annonciateurs ou ferments potentiels de crises qui pourraient affecter la réputation de l’entreprise. Il est préférable de se lancer dans un tel chantier en situation de temps calme et ne pas attendre d’être sous le feu pour tenter d’y comprendre quelque chose. Cela requiert aussi de réaliser des cartographies des parties prenantes en présence, de mieux identifier les réels relais d’influence et ceux qui s’agitent dans leur coin mais sans impact particulier. Idem pour les conversations numériques relatives aux activités de l’entreprise. Bien connaître cet écosystème constitue un premier matelas qui peut largement aider à dégonfler des controverses avant qu’elles ne dégénèrent plus largement.

      TL : Quel est selon vous l’enjeu le plus important dans la communication des organisations? (Public ou privé) ?

      OC : Il n’est pas évident d’établir une stricte hiérarchie des enjeux pour les organisations qu’elles soient privées ou publiques. Cela peut varier d’un univers à l’autre mais à mes yeux, deux enjeux concernent tout le monde sans exception.

      Le premier est celui des fake news même si bien des entreprises ou des collectivités publiques persistent à penser que ce sujet n’est pas une menace pour elles. Le dernier rapport sur les risques mondiaux du Forum de Davos est pourtant sans ambages. Il place la désinformation parmi les plus grands risques pour l’humanité pour les deux prochaines années. Pas seulement au niveau électoral mais aussi en géopolitique et en concurrence économique. Des Etats comme la Chine et la Russie en ont d’ailleurs déjà fait une arme massivement utilisée pour déstabiliser un gouvernement, un secteur économique, des sociétés, etc. Et l’adjonction de l’IA générative a de surcroît nettement accru la capacité à semer le doute, le chaos et à ébranler les opinions publiques.

      Je le redis encore. Seul un dispositif de veille informationnelle peut contribuer à juguler l’impact des fake news. Actuellement, des entreprises comme Starbucks et McDonald’s font les frais d’infoxs qui les accusent de soutenir Tsahal dans sa guerre contre les fanatiques du Hamas. L’impact business sur leurs entités au Proche et Moyen-Orient (mais aussi en Malaisie ou encore en Indonésie) est particulièrement prononcé bien que les deux enseignes aient démenti tout support envers l’un ou l’autre des belligérants.

      Ensuite, le deuxième enjeu est l’acceptabilité d’une activité par la communauté qui l’entoure. Longtemps, les entreprises et les pouvoirs politiques ont d’abord surfé sur les arguments du développement économique et de l’emploi pour faire accepter l’ implantation (ou l’extension) d’une entreprise ou d’un nouvel aménagement d’une infrastructure. L’argument est de plus en plus caduc. Les questions environnementales pèsent de façon massive et croissante dans la balance pour qu’une population daigne considérer la présence d’une usine, d’un magasin, d’un axe routier ou d’un barrage hydroélectrique.

      Les organisations vont devoir écouter plus activement mais également amender ou intégrer des doléances justifiées si elles veulent pouvoir maintenir ou développer leur activité et demeurer acceptable dans leur écosystème. Les passages en force à grand renfort de communication cosmétique ou onirique fonctionnent de moins en moins bien et coûtent en plus des sommes astronomiques qui pourraient être utilisées autrement et plus efficacement.

      TL : La désinformation concerne aussi et de plus en plus les entreprises. Comment peuvent-elles réagir à l’heure où leur parole est de + en + mise en doute?

      OC : Avant de réagir à une action de désinformation, il convient de bien mesurer la teneur de celle-ci, son origine, ses commanditaires et d’estimer si un impact majeur est probable ou pas. En effet, en situation sensible, il est impératif de ne pas surréagir au risque de rendre encore plus visible un sujet qui passait jusque-là sous les radars de l’agenda médiatique. D’où, je le répète encore, le recours à un dispositif de veille permanent.

      Ensuite, face à la désinformation, je vois essentiellement deux axes à travailler. En temps calme, il s’agit de prendre le pouls des parties prenantes, de véritablement échanger constamment, voire de les associer à la co-construction de projets. En cas de crise aigüe, elles constitueront autant de tiers de confiance qui peuvent aider à objectiver et contrer les fausses affirmations. La voix de l’entreprise est évidemment majeure mais elle ne suffit plus. Comme vous le dites, elle est de plus en plus questionnée et suspectée. Si elle prend soin de communiquer à bon escient et ouvertement, sa parole en sera d’autant plus crédible et efficace.

      Enfin, dans le cas de grave crise ouverte, l’entreprise se doit de réagir et faire entendre ses arguments par tous les canaux possibles auprès des publics concernés. Rester coite ou faire le dos rond, c’est prendre le risque extrême de se faire encore plus enfoncer et quelque part accréditer les infoxs. Être silencieux aujourd’hui, revient à être un potentiel coupable. Il restera évidemment toujours des zones grises, des gens qui continueront de souscrire à la désinformation mais qu’importe. Il est essentiel de laisser des empreintes numériques sur un sujet délicat. D’autant que celui-ci peut ressurgir inopinément. Ne pas documenter publiquement revient là aussi à laisser la place aux falsificateurs d’informations.

      TL : En matière de communication de crise, on a le sentiment que malgré le progrès des connaissances, les entreprises sont toujours désemparées lorsqu’une crise surgit. Comment expliquer ce décalage ?

      OC : C’est effectivement un constat que je partage et qui me rend souvent perplexe. La gestion de crise s’est en effet grandement professionnalisée. Nous disposons d’outils de veille nettement plus puissants qu’auparavant et pourtant les mêmes erreurs d’appréciation et les mêmes postures de déni persistent çà et là. La communication de crise n’est certes pas une science exacte (même s’il y a des rouages systémiques récurrents) mais c’est une expertise qui est dorénavant largement documentée depuis plus de 40 ans. Même les cybercrises plus récentes disposent d’un solide corpus de cas d’études et de bonnes pratiques.

      Je crois en fait que c’est probablement le bug humain qui est souvent à l’œuvre et qui induit alors des faux pas préjudiciables à l’organisation. Face à une crise, il y a notamment la sidération qui inhibe les décideurs. Surtout s’ils ne se sont jamais préparés et entrainés via des exercices de simulation qui sont pourtant d’excellents outils pour s’améliorer et gagner en résilience et en bons réflexes. La tentation alors est d’esquiver, voire d’élucubrer pour tenter d’éteindre l’incendie ou pire, mentir, ne rien dire ou trouver un bouc émissaire. Actuellement, Nestlé est étonnamment dans cette posture avec les affaires Buitoni et celles des eaux minérales filtrées illégalement. Résultat : la pression médiatique est intense et le cours de Bourse a même significativement reculé alors que le géant suisse est d’ordinaire une valeur sûre.

      On retrouve pareille attitude lorsque des signaux faibles apparaissent et laissent supposer qu’une crise pourrait survenir. La propension à mettre sous le tapis plutôt que régler le dysfonctionnement, reste une attitude courante. Peut-être que certains misent cyniquement sur le « pas vu, pas pris » ? C’est excessivement dangereux (et irresponsable). Tout finit par se savoir de nos jours. Il suffit d’une fuite informationnelle, un ancien salarié mécontent, un lanceur d’alerte ou autre et la crise éclate.

      Une autre faille qui peut expliquer ce que vous décrivez, est enfin l’empressement à revenir à une situation normale et à vite oublier. Or, lorsqu’une crise est enfin retombée, les organisations ne font pas toutes des « retex » (retour d’expérience) où l’on passe au crible l’intégralité des faits survenus durant la crise pour définir des pistes de progrès. C’est dommage. Ce genre d’exercice permet d’optimiser et de ne pas reproduire des erreurs. Mais là encore, on rencontre parfois une omerta interne qui a juste envie de passer à autre chose sans en tirer les conséquences.

      André de Marco à propos des mutations dans le domaine de la communication organisationnelle

      André de Marco est l’un des pionniers de la communication d’entreprise en France. Après une maîtrise en communication à la Sorbonne au début des années 70, il s’engage dans la pratique et devient en 1983 directeur de la communication du groupe Bull puis 3 ans après de Rhône-Poulenc où il dirigea la communication durant 12 années.

      A l’heure où la communication organisationnelle semble en révolution constante, il a bien voulu répondre à nos questions sur les mutations du domaine.


      Vous avez été l’un des premiers professionnels de la communication. Vous avez été dircom de plusieurs grandes organisations (Rhône Poulenc, Bull, Rank Xerox, Hill & Knowlton, Institut Pasteur). Diriez-vous que les fondamentaux de la communication sont toujours les mêmes et qu’est-ce qui a le plus changé dans la communication des entreprises ?

      Dans les années 80, les professionnels de ce qui s’appelait encore « Relations publiques », ont donné une nouvelle impulsion à leur métier, jusqu’à en modifier les contenus et l’identité pour le nommer « communication ». Elle marquait le passage des outils d’information à sens unique vers une meilleure prise en compte des attentes des différentes parties prenantes. L’entrée des directeurs de la communication dans les équipes de direction des entreprises et des institutions a modifié le positionnement et le rôle de la communication.

      L’importance des enjeux de l’image et de la réputation, y compris pour les relations avec les autorités, avec les investisseurs, avec les jeunes diplômés, a commencé à faire évoluer les pratiques et les moyens. Passage de la connaissance des produits ou des services, à la recherche de relations plus confiantes avec les différents partenaires internes et externes. Souci de la réputation, de l’acceptabilité, de la confiance, pour l’ensemble de l’institution et pour ses dirigeants.

      L’impact des différentes crises et l’arrivée du numérique ont marqué la communication du début des années 2000. Aujourd’hui, le digital et les réseaux « dits sociaux » apportent de nouvelles techniques, l’immédiateté de l’information, la prolifération des expressions personnelles et anonymes, qui rendent la communication moins humaine, ou moins chaleureuse.

      Vous avez été à l’origine de la première campagne de communication corporate sur l’environnement lorsque vous avez été dircom de Rhône Poulenc. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la communication environnementale et l’émergence de la communication responsable ?

      La communication environnementale a trois facettes – l’information et le dialogue sur les préoccupations environnementales, – la promotion de produits ou de services par leurs vertus prétendues environnementales – la responsabilité environnementale de l’entreprise.

      Dans le cas de Rhône-Poulenc, qui avait quatre métiers : la chimie, la santé, le textile, la protection des plantes, nous avions fait le choix de bâtir une identité commune sur la responsabilité sociétale.  Faire comprendre et accepter l’engagement de responsabilité environnementale d’une entreprise dont les activités reposaient toutes sur la chimie était paradoxal et un pari dangereux. Il a heureusement réussi parce qu’il a été rendu possible par une réelle volonté stratégique au plus haut niveau de l’entreprise.

      Aujourd’hui, alors que tout ce qui a trait à l’environnement est omniprésent dans les médias, dans les consciences, dans les lois, et progresse enfin dans les pratiques, il devient plus difficile d’être véritablement crédible en communication environnementale.  Les bonnes intentions et les progrès même incontestables, risquent des effets boomerang destructeurs. 

      Malgré le travail mené ces dernières années, la communication responsable a encore beaucoup de mal à s’affirmer et à convaincre.  La persistance et surtout la remontée des climato sceptiques est un échec cuisant qui doit tous nous faire réfléchir.

      La communication de crise apparaît omniprésente dans la communication des organisations. Avec la place prise par les réseaux sociaux, pensez-vous qu’on gère une crise de la même manière maintenant qu’il y a 30 ans ?

      Indépendamment de l’évidence du rôle pris par les réseaux sociaux dans la communication de crise il ne me semble plus possible de gérer les crises comme il y a trente ans. Les crises sont de plus en plus fréquentes, permanentes disent certains professionnels. Elles sont de plus en plus complexes par leur nature et leurs extensions. La parabole du battement d’aile du papillon déclenchant une catastrophe à l’autre bout du monde, se constate tous les jours. La rapidité de réaction est indispensable, ne serait-ce que pour limiter la multiplication des déclarations de tous ceux qui « parlent avant de savoir et surtout sans savoir ». En préventif, il faut renforcer chaque jour le capital de réputation et de confiance de l’institution et de ses dirigeants. Plus que jamais, veiller à dire la vérité dès les premières minutes et veiller à la transparence. Cultiver l’humilité pouvant aller jusqu’aux excuses, au renoncement à des produits ou services, à des pratiques et des comportements.

      En parallèle avec vos responsabilités de directeur de la communication, vous avez toujours enseigné votre savoir aux étudiants. Quel regard portez-vous sur l’enseignement de la communication d’entreprise dans les universités ?

      Je suis trop éloigné des pratiques actuelles pour pouvoir apporter un avis pertinent sur ces enseignements en mouvement permanent.  J’ai arrêté d’enseigner quand je me suis rendu compte, n’étant plus à 100% en activité de communication, que je n’étais plus en mesure d’apporter le meilleur d’aujourd’hui aux étudiants. J’ai toujours été surpris des appels que je recevais de personnes qui se voyaient chargées d’enseigner la communication dans une école ou une université et me demandaient, « mes slides » comme on le disait à l’époque. Je crois que l’enseignement de la communication n’est pas uniquement une transmission de savoirs. Je pense que c’est avant tout la transmission de convictions, d’attitudes et de comportements. Apprendre à bien faire, plutôt que le savoir. J’ai toujours apprécié les bénéfices croisés de mes activités professionnelles au service de l’enseignement et de l’enseignement dans l’exercice de mon métier.

      L’acceptabilité sociale de la transition écologique par Stéphanie Yates, PhD

      Stéphanie Yates est professeure au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du Groupe de recherche en communication politique de l’Université Laval. Politologue de formation (Ph.D Université Laval 2010), elle étudie le rôle des citoyens et des groupes d’intérêt dans la gouverne des États et des entreprises. Dans cette perspective, elle se penche sur les stratégies de médiatisation des acteurs publics et privés en lien avec le lobbyisme, la participation publique, l’acceptabilité sociale et la responsabilité sociale des organisations. Elle s’intéresse également à la communication environnementale. Partant d’une approche interdisciplinaire, elle a publié de nombreux articles et chapitres dans des publications en communication, en science politique et en administration publique. Elle est également la directrice de l’ouvrage Introduction aux relations publiques. Fondements, enjeux et pratiques, publié aux Presses de l’Université du Québec en 2018.

      Vous travaillez depuis quelques années sur l’acceptabilité sociale de la transition écologique. Pourquoi s’y intéresser ?

      Face à la crise climatique, des choix sociétaux difficiles devront être faits, à la fois pour tenter de freiner le réchauffement de la planète et pour s’adapter aux changements climatiques. La transition des énergies fossiles vers des énergies renouvelables ou moins polluantes suscite déjà de vives tensions sociales, que l’on pense aux mobilisations citoyennes liées à l’exploitation des minéraux critiques et stratégiques (graphite, lithium) ou à l’éventuelle construction de nouveaux barrages hydro-électriques au Québec, ou encore aux taxes sur le carburant ou au retour du nucléaire en France.

      Les vives controverses liées à ces projets de transition énergétique laissent présager l’intensité des débats qui nous attendent. Car la transition ne pourra qu’être énergétique : elle devra aussi être écologique. C’est en effet une véritable remise en question de nos modes de vie qui nous attend, et en son cœur, un nouveau regard sur la notion de croissance sous-jacente à nos économies occidentales, qu’on devra inévitablement remettre en question. En somme, les conflits à venir posent avec encore plus d’acuité la notion d’acceptabilité sociale.

      Le terme d’acceptabilité sociale est apparu dans l’espace public il y a déjà plusieurs années, mais on a l’impression qu’il demeure flou et difficilement mesurable. Comment déterminer si un projet est socialement acceptable ?

      L’acceptabilité sociale correspond à un jugement collectif à l’endroit d’un projet ou d’une politique, appelé à évoluer dans le temps. On sait aujourd’hui que plusieurs facteurs peuvent contribuer à l’acceptabilité d’un projet : au-delà de ses attributs techniques et financiers, sa raison d’être d’abord, son adéquation avec la vision et les valeurs d’une collectivité donnée, mais aussi la confiance qu’on accorde à son promoteur. Or, chaque cas est unique et tributaire des dynamiques sociopolitiques en présence. Il n’y a pas de recette qui fonctionnerait à tout coup ! Ultimement, en phase avec notre système de démocratie représentative, c’est aux autorités politiques à jouer le rôle d’arbitre en déterminant si un projet est socialement acceptable, mais cette évaluation reste fondée sur une analyse relativement subjective de la situation.

      Que peuvent faire les autorités politiques pour être mieux outillées en la matière ?

      Les autorités locales sont souvent les premières interpellées par les débats autour de projets qui soulèvent des enjeux d’acceptabilité. Les communautés riveraines, appelées à subir les externalités négatives de ces projets, sont en effet souvent celles qui se braquent en premier. Si, dans un premier temps, leurs réactions sont typiquement qualifiées de l’incarnation du proverbial syndrome du « pas dans ma cours », on se rend compte, en écoutant leurs arguments, que leur opposition est beaucoup plus profonde et questionne la légitimité même des projets débattus, leur nécessité et donc leur raison d’être. Ces communautés locales jouent ainsi un rôle de lanceur d’alerte, en quelque sorte. Les autorités locales, quant à elles, sont souvent bien mal outillées pour faire face à ce type d’opposition. Elles ont aussi parfois les mains liées, notamment en raison des redevances qu’elles attendent de ces projets, qui ont souvent été discutées avec les promoteurs bien en amont, et en toute confidentialité. C’est un cocktail parfait pour une situation explosive… qui se termine souvent, on l’a vu au fil de plusieurs cas, par le rejet de projets dans lesquels temps, énergie et argent ont déjà été investis.  

      Comment alors éviter de telles situations ?

      Les projets les mieux réussis sont ceux qui s’ancrent dans une vision partagée du développement d’un territoire donné. Cela implique d’instaurer un dialogue avec les populations locales bien en amont d’un projet donné, afin de coconstruire cette vision et de réfléchir à la vocation qu’on veut donner aux différents espaces d’un territoire. C’est à travers ce type d’exercice, qui se doit d’être le plus inclusif possible, qu’on pourra aussi s’entendre sur les compromis qui seront nécessaires pour réaliser la transition écologique qui nous attend.

      Et enfin, quel est le rôle de la communication dans ces processus?

      La communication est constitutive de l’acceptabilité sociale, elle est en son cœur. C’est en effet à travers la communication que les différents discours sont portés dans l’espace public sous le prisme de différentes stratégies d’argumentation. C’est aussi à travers la communication que se construisent les différentes formes de légitimité autour du projet. La légitimité du projet en lui-même – sa raison d’être – et celle de son promoteur en tant que porteur de divers engagements ; celle des autorités publiques en tant que fiduciaire de l’intérêt public, et enfin celle des acteurs sociaux en tant qu’intervenants qui ont leur mot à dire dans les débats. C’est aussi à travers la communication que pourront s’instaurer les dialogues nécessaires à la construction d’une vision partagée de ce que pourra être cette transition écologique qui nous attend.

      Santé, numérique, acceptabilité, noosphère, le point de vue de Vincent Meyer

      Vincent Meyer est sociologue, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Côte d’Azur. Il effectue ses recherches au sein de l’URE TransitionS rattachée à l’Institut méditerranéen, du risque, de l’environnement et du développement durable (https://imredd.fr/). Si, il a particulièrement mené des travaux dans le champ du social et médico-social, ces derniers l’ont amené à traiter des communications d’action et d’utilité publiques et celles développées sur différents territoires notamment en lien avec les technologies numériques. Le lecteur pourra retrouver ses ouvrages dans la rubrique dédiée de son blog http://vmeyer.canalblog.com/

      1. Vous travaillez depuis plusieurs années la question des prises en charge institutionnelles des personnes en situation de handicap, de fragilité et/ou de vulnérabilité et du travail social lato sensu. Comment percevez-vous leur inscription dans les sciences de l’information et de la communication ?

      Mes travaux s’inscrivent prioritairement en communication des organisations avec également, dans mes premières publications, une mobilisation des apports de la communication de masse. L’ouvrage de 2004 Interventions sociales, communication et médias issu de ma thèse est emblématique à cet égard. En effet, je voulais montrer comment les souffrances physiques et sociales des individus comme les « bonnes actions » pour y répondre se manifestent dans l’espace public et commandent plus que jamais une maîtrise des outils et des techniques de communication. Cette question de la manifestation (interpersonnelle et/ou médiatique) des souffrances et son impact sur notre croyance dans la réalité du malheur d’autrui reste omniprésente. Celui de 2005, Communication organisationnelle et prise en charge du handicap mental, problématise-lui, les formes et intentions de communication dans le monde encore trop clos des prises en charge du handicap mental. J’y exploite mon expérience de praticien et celle acquise dans mes recherches en sciences de l’information et de la communication. J’y porte un regard critique sur les compétences des professionnels à communiquer sur leurs pratiques tout en proposant une réflexion sur le sens et la valeur d’une information en milieu institutionnel auprès de personnes lourdement handicapées. Ces deux ouvrages « piliers » où les actions en communication restent essentiellement humaines, m’ont permis également de détailler, d’une part, l’intérêt dans ces domaines de mobiliser des démarches de recherche-action ; d’autre part, de m’intéresser à une évolution de plus en plus déterminante : celle que je qualifie de transition digitale. À la suite, plusieurs ouvrages traitent des pratiques et usages des technologies numériques au service de ces publics en situation de handicap comme des professionnels qui les accompagnent. Des pratiques et usages où des dispositifs sociotechniques « non-humains » prennent progressivement place et impactent fortement les prises en charge. En effet, comme l’indique avec pertinence Madeleine Akrich (2006), les technologies numériques ont bel et bien déplacé « certaines compétences humaines ou sociales dans les objets techniques » [et] « préforment les relations qu’ils suscitent ou supposent entre les différents acteurs du champ ».

      2. Le thème de l’acceptabilité sociale est actuellement très présent dans vos travaux. Au sein de votre laboratoire, les recherches s’effectuent notamment dans ce cadre autour des usages des objets connectés et de l’impression 3D alimentaire. Quels peuvent être les éléments communs d’acceptabilité de ces différents sujets ?

      Merci de cette question qui me permet de détailler la manière dont nous nous mobilisons – au sein de l’IMREDD et sa chaire UX for Smart Life Experimentations – cette « notion-outil » au sens de Gérald Gaglio (2011/2021) qu’est l’acceptabilité sociale des innovations en général et, celle liée technologies numériques en particulier. Elle nous oblige d’abord de reposer à nouveaux frais – et ceci est très stimulant – les questions d’une fracture versus d’une inclusion numériques. Ensuite, guidé par cet impératif d’une recherche participative/action – quand d’aucuns voudraient « accélérer » auprès de différents publics et/ou territoires l’acceptabilité de diverses innovations – nous, nous nous attachons à décrire, caractériser et qualifier un entrelacs formé par deux triptyques : « dispositifs, publics, pratiques » ; « accès, appropriation, usages ». De quoi s’agit-il précisément pour TransitionS ? Pour ne prendre que l’exemple de l’impression 3D alimentaire autrement dit, la fabrication additive de pièces comestibles fonctionnelles/nutritionnelles. Les dispositifs sont les technologies et leurs supports (ici l’imprimante que nous ouvrons telle une boite noire à l’aide même des concepteurs). Les publics sont, dans cette recherche, des personnes atteintes de cancers de la région cervico-faciale, des personnes handicapées et âgées dépendantes en institution ainsi que les professionnels et les aidants qui les accompagnent (publics pour lesquels nous proposerons des compléments alimentaires conçus en coopération avec l’INRAE Centre Clermont Auvergne-Rhône-Alpes). Les pratiques sont celles qu’offre, commande ou donne à voir le dispositif (e.g. un mode d’emploi et son cadre, des fonctionnalités spécifiques…). L’accès représente les possibles mises à disposition et en fonction de pareille imprimante depuis la sécurité alimentaire aux questions éthiques en passant par la dimension économique). L’appropriation où nous saisissons le point de vue de différents utilisateurs potentiels et/mais surtout les controverses que génère cette innovation – et gageons que ceci intéressera au premier chef votre académie – et celles que produisent les tiers intéressés surtout dans un pays comme la France où la gastronomie, l’art de la table, le goût de l’authentique dans l’alimentation relèvent de multiples « autorités ». Les usages (ou non-usages) enfin i.e. les prises en main effectives comme leurs possibles détournements.

      3. Votre prochain ouvrage aura pour titre « Communiquer une souffrance ? ». Comment peut-on apprendre à voir la souffrance et surtout à communiquer afin que sa perception puisse s’accompagner d’un passage à l’action pour la réduire ?

      Vaste question que j’ai commencé à traiter avec mon « maitre ouvrage » selon l’expression consacrée, de 2004, mais dont les déclinaisons et développements étaient à ce point conséquents qu’il fallait aller plus loin. L’annonce de cet ouvrage comme sa présentation infra, vous en avez ici, en quelque sorte, la primeur. Il veut être une contribution aux débats sur le développement et l’efficacité des formes et intentions de communications dans ce domaine, de leurs supports et stratégies dans divers champs d’application en ce début de XXIe siècle. Ceci autour d’une question récurrente : comment montrer à autrui via l’image, le son et/ou un contenu écrit (sur différents supports), la souffrance de personnes en situation de handicaps, de fragilité et/ou vulnérabilité (et ses déclinaisons en « causes » grandes ou petites, en plan d’action en faveur de, en urgence à agir…). Autrement dit, comment la faire reconnaitre (par/pour différents publics, décideurs, donateurs, aidants, bénévoles…) en associant cette « monstration » ou « esthétisation » aux professionnalités aptes à y répondre (i.e., les régimes d’action pour dé-montrer qui est vraiment « compétent » pour le faire). J’ai souhaité en faire une présentation à la fois critique et compréhensive, en dégageant – sans tomber dans la forme « manuel » – des pistes de travail dans et pour la recherche en sciences de l’information et de la communication. Ce livre sera/fera aussi une synthèse des points saillants de travaux menés depuis près d’une vingtaine d’années dans les champs professionnels du social, du médico-social et du sanitaire en France dans le cadre de leurs communications (interne, externe, réticulaire) et au sein de leurs organisations respectives. Il consacrera aussi plusieurs lignes sur le traitement info-communicationnel sur le débat très sensible de la fin de vie.

      4. Parmi vos références figure Pierre Teilhard de Chardin. Nous connaissons tous le géologue, théologien, philosophe, paléontologue, ses réflexions sur la spiritualité et ses espoirs d’émergence de la noosphère. On distingue toutefois difficilement la relation entre ses travaux et les sciences de l’information et de la communication. Comment les reliez-vous ?

      Le Révérend Père Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) est, pour moi, un des scientifiques français qui a profondément marqué le XXe siècle. Comme je l’indique dans ma recension parue dans le numéro 30 de la revue Communication et Organisation https://journals.openedition.org/communicationorganisation/11777 d’un ouvrage de Bruno Dufay (2021) Teilhard de Chardin : toujours d’actualité : numérique, transhumanisme, écologie, non-discrimination… je l’ai seulement découvert au début des années 90, entre les lignes, grâce à l’ouvrage de référence de Robert Escarpit Théorie générale de l’information et de la communication (1976). Il est vrai que ce sont souvent les notions phares de noosphère et/ou point oméga qui retiennent l’attention des lecteurs. Pour ma part, c’est son analyse de l’entropie, comme involution, qui nous rappelle autant le mode dégradé de notre évolution humaine que le désordre permanent que nous voulons/croyons dominer en ce monde dans ce qu’il dénomme presque poétiquement « l’agrégation persistante d’individus biologiquement voisins en populations interfécondes ». Toutes les formes et intentions de communication y contribuent, non ?

      Je me permets ainsi de renvoyer vos lecteurs aux lignes que je lui consacre dans deux chapitres « En avant ! L’équilibre avec Pierre Teilhard de Chardin » https://www.editions-harmattan.fr/livre-l_equilibre-9782343217956-67954.html et « Résonances entre noosphère et village planétaire : un développement des villes intelligentes » https://www.pressesdesmines.com/produit/fractales-et-resonances/

      Marie Gabrielle Suraud est professeure en Sciences de l’information et de la Communication à l’Université Paul Sabatier de Toulouse. Elle a notamment travaillé sur les questions de concertation, d’acceptabilité, sur les nanotechnologies. Elle a bien voulu répondre à quelques questions.

      Concertation, acceptabilité et réussite

      La montée de la thématique environnementale comme expression d’une contestation croissante dans ce domaine a mis en avant, du côté des décideurs politiques et économiques, l’idée d’une « acceptabilité sociale » des projets. Cette idée est souvent reprise, également, par des recherches académiques qui assument ainsi de prendre comme point de départ du raisonnement les décisions fonctionnelles des entreprises ou de l’Etat. Cette démarche est un parti pris qui ne repose pas sur des bases théoriques explicitées.

      Selon mon point de vue, et en m’inscrivant dans la perspective de la théorie duale de Jürgen Habermas, la notion « d’acceptabilité sociale » des projets n’est pas fondée. En effet, la posture qui sous-tend l’idéologie de l’acceptabilité sociale postule implicitement une répartition des rôles entre les parties prenantes marquée par une dynamique qui part de la conception d’un projet et s’étale vers l’expression du public. Les activités et les projets apparaissent ainsi comme étant pensés, en amont, par les experts et les autorités étatiques et/ou économiques puis soumises au test d’acceptabilité pour intégrer, le cas échéant, quelques aménagements. Une perturbation est alors certes, envisagée, mais le système garde l’essentiel du contrôle.

      En contrepoint, il n’est jamais question d’acceptabilité industrielle – ou politiques – de revendications civiques dont la marque normative est de faire valoir des exigences universalisables ou universellement partageables (telles que la protection de l’environnement, de la santé, quoi qu’il en coûte, … autrement dit, détachées de tout calcul économique ou électoraliste).

      Dans cette perspective, à la notion d’acceptabilité sociale pourrait être substituée celle de légitimité des décisions fonctionnelles. Ceci met en évidence le fondement théorique selon lequel, dans des domaines de la vie symbolique, les exigences universalisables doivent être premières, autrement dit, constituer le ressort de la transformation de la société puisqu’elles fondent la légitimité des décisions. Inverser l’orientation de la dynamique nécessite de considérer la manière dont le système économique et le système politique sont susceptibles d’y répondre. Le raisonnement part alors du processus de formations des exigences universalisables pour étudier les conditions dans lesquelles ces exigences peuvent être prises en compte par le système.

      La concertation est une voie possible pour affirmer et mettre en œuvre une telle orientation. Elle ne représente pas pour autant une solution magique. Depuis plus d’une vingtaine d’années, la littérature sur les expériences de concertation publique met clairement en évidence la complexité du processus. Malgré l’importance accordée à la nécessité de procéduraliser de façon contraignante ces espaces de débat, il n’y a aucune relation mécanique entre le format d’un débat et son issue, rendant sa portée démocratique toujours improbable. Pour exemple, si je me réfère à mes propres travaux, y compris lorsque la concertation se structure, procéduralement, sur la base d’une confrontation des points de vue visant leur évolution et, le cas échéant, leur convergence vers un « arrangement », le processus de concertation peut aboutir à une radicalisation accrue des positions et durcir le conflit. D’autres analyses m’ont permis d’observer que la concertation peut être un levier pour renforcer l’espace public (au sens habermassien du terme, c’est-à-dire contribuer à élargir le débat démocratique au-delà du périmètre de la concertation initiale).

      La difficulté de la concertation réside également dans la complexité du processus de décision, qui doit à la fois répondre à des exigences universalisables : par exemple le recours à des énergies renouvelables, mais qui doit inéluctablement faire face à des intérêts particuliers.

      Par conséquent, la contingence du processus de concertation rend toujours improbable l’adhésion à un projet et ne représente en aucun cas une voie privilégiée « d’acceptabilité sociale des décisions fonctionnelles ».

      Concertation et confiance

      Il est tentant, et stratégique, pour les décideurs de faire appel à la confiance du « grand-public » ou de ses représentations associatives. Cet appel à la confiance part d’une analyse selon laquelle la contestation des décisions environnementales, qu’elles soient économiques ou politiques, refléterait une méfiance qui se serait progressivement instaurée vis-à-vis du « système ». Ainsi serait-on passé, dans les sociétés démocratiques mais parfois ailleurs, comme en Chine, d’une situation de non-contestation environnementale reposant sur la confiance dans les activités industrielles à une méfiance vis-à-vis de l’industrie (éventuellement de la finance) et d’un Etat qui la soutient.

      Bien entendu, cette idée ne part pas de rien. On peut en effet, et facilement, constater qu’un basculement s’est opéré à partir des années 1960-1970 jusqu’auxquelles aucune manifestation anti-industrie ne s’observe. Comme le disent certains : dans les années 1970, les fumées d’usine sont des signes d’activité, donc d’emplois, de revenus ; aujourd’hui, il s’agit de signes de pollution alors même que ces fumées se sont significativement estompées.

      Faut-il, pour autant, en conclure au passage d’une ère de la confiance à une ère de la défiance qu’il faudrait gérer spécifiquement ? Je ne soutiendrai pas cette idée, pour deux raisons. 

      • La première tient à la faible portée théorique de la notion de confiance pour traiter des questions environnementales. Outre le fait qu’il n’y a pas qu’une seule définition ou un seul concept de ce qu’est la confiance, ce qui n’a rien d’original en sciences sociales, il n’y a aucun fondement qui pourrait laisser supposer que les « parties prenantes » puissent se faire confiance. En effet, la confidentialité économique ou le secret-défense (nucléaire) sont des marques de fermeture des organisations économiques et politiques vis-à-vis du public, et il peut sembler paradoxal que les décideurs puissent lancer des appels à la confiance alors même qu’ils revendiquent le secret des affaires. Cette insistance sur une confiance non-réciproque peut d’ailleurs conduire à remettre en cause le système (économique et/ou politique) quand les associations s’interrogent sur les raisons d’une telle insistance.
      • La seconde réside dans l’idée que les processus sociaux qui sont actifs dans la thématisation publique de l’environnement ne peuvent être traités en termes de confiance, méfiance, défiance, dès lors qu’ils opposent des visions différenciées du monde des risques (technologiques en l’occurrence). En effet, la contestation environnementale ne met pas spécifiquement en cause un déficit de sécurité des installations, chimiques ou nucléaires. Elle part du principe que, puisque le risque zéro n’existe pas, la catastrophe est alors inéluctable : ce n’est qu’une question de temps. Rien ne garantit qu’elle ne puisse pas se produire à quelque moment que ce soit. Autrement dit, c’est l’existence des activités qui est contestée, et la critique de la gestion des risques a une dimension tactique venant à l’appui du rejet de la présence d’activités. Ceci marque une différence entre, d’une part, activités contestées et, d’autre part  activités non contestées (le transport ferroviaire, par exemple) où seul le défaut de sécurité est mis en cause.

      En conséquence, la concertation ne peut aucunement favoriser l’émergence de relations de « confiance » entre parties prenantes parce que d’un point de vue théorique, la confiance est une notion de l’intimité, non pertinente dans les relations entre décideurs et non-décideurs.

      Les Nanotechnologies

      Le thème des nanosciences et nanotechnologies a fait l’objet de controverses intenses quasiment dès le lancement, aux Etats-Unis tout d’abord puis dans de nombreux pays, des grands programmes de recherches dédiées, dès la fin des années 1990.

      Les « nanos » ont une double particularité. D’un côté, elles concernent des applications potentiellement sans limite puisque les nanomatériaux trouvent des débouchés dans quasiment tous les domaines : l’alimentaire, le militaire, l’énergie, le médical, l’aéronautique… De l’autre, elles créent trois problèmes majeurs : les risques pour l’environnement et la santé, les questions éthiques (manipulation génétique, transformation du vivant) et les menaces sur les libertés publiques (contrôle accru grâce aux puces RFID, stockage des données). Aucune autre technologie antérieure aux nanos a, à la fois, touché un spectre aussi large d’applications et concentré plusieurs grands problèmes.

      Compte tenu de l’ampleur des transformations annoncées, on a pu assister, au niveau international, à des convergences contestataires qui se sont instruites des problèmes soulevés par le nucléaire, les OGM, l’amiante… selon un processus d’accumulation « d’expérience des risques ».

      En France, les mobilisations ont conduit l’Etat à recourir à un débat public que la CNDP organisera entre 2009 et 2010. L’échec apparent de ce débat national – plusieurs séances n’ont pu se tenir pour cause de blocage – a souvent masqué la portée de ce débat qui a su « déborder » le cadre prévu par la CNDP et se déporter dans une myriade d’autres espaces d’échange et de confrontation. Ainsi, le débat national CNDP a non seulement contribué à mettre en visibilité les mobilisations anti-nanos (jusque-là restées relativement spatialisées), mais, également, a participé à la constitution d’un espace public autonome particulièrement vivace pendant plus de deux années maintenant une mobilisation civique très active.

      L’idée qu’un point de non-retour – largement exprimée lors des multiples débats publics – pourrait être atteint si la commercialisation des nanoproduits devait s’étendre, a incité les associations à traiter le problème « le plus en amont possible », en demandant un contrôle sur les recherches en nanosciences. Ces revendications sont innovantes pour des associations engagées sur le thème des risques « environnement-santé » qui interviennent traditionnellement après coup pour tenter de contrôler les développements technologiques et leurs applications. Avec les nanos, le tissu associatif déplace ses revendications en exigeant d’avoir un droit de regard sur les recherches académiques et leurs financements. Ces revendications, mettant en cause la recherche fondamentale, deviennent un enjeu de démocratisation appelant une évolution des rapports entre la sphère civique et la sphère de la recherche académique. Les débats révèlent alors une situation de rupture marquée par des oppositions fortes entre citoyens et chercheurs, lesquels ne reconnaissent pas la légitimité des citoyens à participer à l’élaboration des politiques de recherche. Ainsi, au-delà des désaccords entre les associations, l’opposition d’une partie des scientifiques à l’idée d’ouvrir les instances de la recherche et les laboratoires aux citoyens freine ce mouvement de « démocratisation de la science ».

      Cette opposition de la part des chercheurs, mise en public lors des débats, représente une rupture. En effet, dans les années 1970, les mouvements qui interrogent les « sciences en société » ne manifestent pas de clivage ou de tensions entre les chercheurs et le tissu associatif. D’une part, les contestations prennent le plus souvent leur source dans le milieu scientifique lui-même : physiciens nucléaires, généticiens, biologistes… se mobilisent contre certains développements scientifiques et technologiques.

      Pour ce qui est des effets des mobilisations et des débats, en 2022, contrairement à ce qui a été couramment prophétisé, la réalité est restée très en-deçà des annonces et, ce, dans tous les pays du monde. Les quelques publications académiques sur le sujet montrent que les innovations, donc la réalité industrielle, sont encore loin d’une réalisation des promesses de transformer le monde, que ce soit en France, en Chine, en Afrique du Sud, par exemple. Les contestations et les débats qui ont contribué à leur visibilité et leur portée ont, sans doute et pour une part, freiné les initiatives technologiques et industrielles. Les succès de laboratoire ne deviennent des innovations qu’à la condition de pouvoir être maîtrisées, technologiquement et économiquement (par exemple, les nanotubes de carbone, emblématiques des propriétés extraordinaires et des risques environnement-santé, ne se sont pas industrialisés tout particulièrement en Europe).

      A ce stade, l’inscription des nanos dans la transition écologique est donc encore possible.

      A l’occasion de la publication de la 2eme édition du guide de la Communication responsable, nous avons demandé à Valérie Martin, Cheffe du Service Mobilisation Citoyenne et Médias de l’ADEME, et membre de notre Comité d’Orientation, de bien vouloir répondre à nos questions.

      ACCS : L’ADEME avait publié en 2007 le Guide de l’éco-communication, puis en 2020 le Guide de la communication responsable. Vous publiez, juste deux ans après, la deuxième édition de ce guide. Qu’est-ce qui explique que seulement après 2 années, vous décidez la publication d’une nouvelle édition ? Quels sont les éléments de contexte qui vous ont motivée pour cela ?

      Valérie Martin : Lorsque nous avons publié le guide de la communication responsable de l’ADEME en janvier 2020 avec Mathieu Jahnich et Thierry Libaert[1] , nous pressentions déjà que de profondes modifications allaient transformer le secteur de la communication, du marketing et de la publicité.

      Les débats avaient démarré dans le courant du second semestre 2019 et se sont renforcés au cours du 1er semestre 2020 avec de nombreuses contributions déterminantes qui sont venues nourrir et enrichir concrètement la réflexion. Que ce soient via les travaux de la Convention citoyenne pour le climat, les rapports des ONG tels que « Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique. » par les Amis de la Terre France, Résistance à l’agression publicitaire et Communication sans frontières ou encore Le rapport « Pour une loi Évin Climat» des ONG Greenpeace France, Réseau Action Climat et Résistance à l’agression publicitaire, nous ne pouvions que ressentir l’accélération de la pression exercée par des communautés très variées (scientifiques, experts, ONG, collectifs de citoyens…) ces questions ont été amenées au cœur même du débat public. Et même si elles se sont majoritairement concentrées autour du rôle de la publicité et de son impact sur la surconsommation, nous avons pu voir leur répercussion sur l’ensemble de la filière communication-marketing, mais aussi sur les médias.

      Durant toute la phase d’écriture (2ème semestre 2021 à l’été 2022), nous avons pu en outre assister à des évolutions qui ont placé la question de la communication responsable dans une dynamique de changement structurel, et non plus dans une simple tendance conjoncturelle. On peut citer par exemple au niveau français la dénonciation régulière des actions de greenwashing par les membres du collectif « Pour un réveil écologique » et comme un corollaire le phénomène de judiciarisation face à ces pratiques commerciales trompeuses, bien sûr l’entrée en vigueur de nombreuses dispositions des lois anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) ou Climat & Résilience, sans oublier l’accentuation de la prise en compte de ces problématiques au niveau européen avec la volonté de renforcer l’information du consommateur.

      Voilà ce qui nous a conduits à la publication de cette seconde édition largement enrichie puisqu’elle a doublé par rapport à la première !


      [1]Les co-auteurs du guide de la communication responsable de l’ADEME : Mathieu Jahnich, Valérie Martin, Thierry Libaert

      Le Guide de la communication responsable, édition enrichie 2022, ADEME

      Pouvez-vous nous présenter les modifications essentielles pour cette nouvelle édition ?

      V.M : Il faut sans doute déjà dire que le Guide de la communication responsable aborde bien sûr toujours les sujets traités dans la première édition : que ce soit la présentation des grands enjeux écologiques, les limites du modèle linéaire, le nécessaire déploiement d’une économie circulaire, la lutte contre le greenwashing, le très pratico-pratique chapitre dédié à l’éco-socio-conception des supports (édition, communication numérique, événementiel, production audiovisuelle) ou encore la communication de crise.  Nous avons quand même réalisé un véritable travail d’enrichissement et d’actualisation de ces différentes parties ! Nous avons également décidé de développer de nombreux autres sujets qui entrent dans le champ de la communication responsable et que nous n’avions pas exposés précédemment : les nouveaux récits et le déploiement d’imaginaires alternatifs désirables plus compatibles avec les transitions écologique et sociale – donc sobres – qu’il est indispensable de faire émerger pour rompre avec le modèle économique dominant ; ce sujet intègre bien sûr le combat contre les stéréotypes de modes de vie qui vont à l’encontre de la modération de la consommation et donc véhiculent certaines représentations nous incluant dans un imaginaire du bonheur fondé principalement sur la possession et l’accumulation des biens. Les questions de l’infobésité et de la lutte contre les fake news sont aussi largement mises en avant au sein de cette nouvelle édition car elles ont des effets délétères sur la communication ; tout comme un focus sur la défiance et la société du doute dans laquelle nous évoluons. Enfin, deux nouveautés majeures : la communication au service de la résilience des territoires car face aux crises systémiques auxquels les territoires sont confrontés (les collectivités jouent un rôle clé pour relever ces défis qui passe par la co-construction d’un nouveau projet de territoire et l’accompagnement des changements de comportement nécessaires porté par la communication publique notamment) ; l’autre nouveauté c’est celle de la transformation des entreprises et donc de celle du modèle d’affaires qui induit nécessairement de nouveaux rôles et pratiques des fonctions communication et marketing. Nous abordons d’ailleurs cette question d’un marketing plus responsable de manière plus approfondie afin de partager des initiatives et des éléments concrets pour changer les pratiques.

      Par ailleurs, nous nous sommes appuyés sur plus de 80 experts afin d’enrichir le guide avec des analyses et de nombreux exemples pour accompagner nos lecteurs dans la mise en œuvre de leur démarche de communication responsable.

      A qui s’adresse ce guide ?

      V.M : Notre volonté est que ce guide s’adresse à un public très large. Concrètement, cela signifie que tous les communicants, publicitaires et marketeurs du secteur privé comme du secteur public mais aussi du secteur non-marchand sont concernés par les contenus du guide. Au-delà, alors que le contexte actuel nécessite de mettre en place des stratégies RSE ambitieuses dans les organisations (et donc de renforcer la synergie entre les équipes de la RSE et de la communication), ce guide sera également un outil très utile pour les professionnels de la RSE ; nous avons identifié un parcours de lecture spécifique d’ailleurs pour ces personnes. Enfin ce guide s’adresse à tous les enseignants et étudiants de ces différents domaines de la communication, du marketing, de la RSE et aussi en sciences politiques, administration générale, commerce et management. Il y a une forte attente de la part des professionnels en activité ou des futurs professionnels à s’investir dans une communication plus responsable et de (re)donner du sens à leur métier et à leur engagement. Véritable outil de formation, ce guide a pour ambition d’accompagner le nécessaire changement en profondeur de la fonction communication et marketing.

      Quel regard portez-vous sur la prise en compte de la communication responsable dans les organisations, vous semble-t-elle désormais partagée dans la plupart des organisations ?

      V.M : Nous pouvons déjà noter que le secteur de la communication semble comprendre la nécessité de faire sa propre « révolution » car la défiance est telle aujourd’hui que sans une modification profonde de ses fondements et pratiques ce secteur ne réussira pas à promouvoir et à faire la pédagogie d’un nouveau modèle de société. En tant que puissant vecteur de transformation culturelle, la communication, et donc les communicants, doivent en effet prendre leur responsabilité face à ces évolutions et accompagner le changement collectif au service d’un imaginaire d’une sobriété désirable et non plus d’un imaginaire lié à la surconsommation.

      Progressivement, on voit se dessiner cette dynamique collective, même si une vigilance forte reste de mise afin de lutter contre certaines pratiques que l’on constate régulièrement. Preuve en est les cas de greenwashing systématiquement dénoncés comme je le mentionnais tout à l’heure ! Les citoyens sont aussi de plus en plus sensibilisés et attendent des marques un discours sincère et cohérent[1] : 84% déclarent avoir besoin de preuves tangibles lorsque les entreprises souhaitent communiquer sur leurs engagements en faveur de la planète et de la société.

      Toutefois, les choses commencent à bouger. Tout d’abord, on assiste à un mouvement de formation aux enjeux de la transition écologique, aux bonnes pratiques de communication responsable et à de nouvelles démarches de travail qui se met en place tant dans les organisations (entreprises, collectivités, Etat) qu’au sein des agences. Dans les écoles et les universités pareillement ce sujet semble gagner du terrain. C’est un premier pas indispensable ! A cet effet, je ne résiste pas au fait de citer comme indicateur le nombre de commandes de notre guide dans les 15 jours ayant suivi son édition, près de 800 guides, ce qui est pour nous un excellent résultat ; c’est beaucoup plus important que pour la précédente édition ! Le guide de l’ADEME apparaît comme un guide de référence.

      Par ailleurs, je remarque aussi que de nombreux webinaires, colloques sont organisés autour de ces thématiques par des réseaux variés et en particulier des réseaux de professionnels de la communication tant au niveau national que régional. On voit par ailleurs se développer des outils mesure de l’empreinte carbone des communications dans l’optique à terme de définir leur trajectoire climat pour réduire leur impact. L’intérêt est donc manifeste. Bien sûr, il y a du débat, des interrogations et encore des résistances, ce qui est un phénomène auquel on pouvait s’attendre compte tenu de la modification des pratiques et plus largement du modèle de fonctionnement à entreprendre.

      Enfin, on constate que ce ne sont plus simplement certaines grandes entreprises ou agences spécialisées qui s’emparent de cette thématique. De nombreux acteurs s’y intéressent et commencent à investir le sujet : entreprises de toute taille, collectivités territoriales, agences de communication et de publicité, réseaux de marketeurs… Nous voyons par ailleurs bouger le secteur des médias avec la “Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique” lancée le 14 septembre dernier.

      Cette forte attente sur ces sujets est positive, toutefois le mouvement doit encore s’accélérer afin que ce secteur puisse devenir un des leviers de la transition écologique et de la transformation de notre société. Car tel est bien l’enjeu.


      [1] Source : 15ème baromètre Greenflex- ADEME

      En plus du livre, vous avez mis en place un site internet sur la communication responsable. Que peut-on y trouver par rapport au livre ?

      V.M : Oui, l’ADEME a souhaité mettre en place dès la première édition du Guide en 2020 un site internet sur la communication responsable : communication-responsable.ademe.fr. Il s’agit d’un véritable prolongement du guide, un hub d’informations sur la communication et le marketing plus responsables afin de pouvoir partager des contenus régulièrement actualisés. Dans cette optique, nous avons d’ailleurs décidé de refondre notre site à l’occasion de la sortie de cette nouvelle édition de notre guide, avec pour objectif de mettre en avant l’essentiel des informations à connaître sur les différentes problématiques traitées dans le guide, mais aussi pour partager davantage d’outils pratiques, de résultats d’études et bien sûr de témoignages d’acteurs engagés. Bref, c’est un outil d’inspiration et de valorisation de l’expertise… qui permet d’être toujours informé et d’accompagner les communicants dans le passage à l’action vers des pratiques de communication plus responsables.