Le 15 novembre 2023 à l’Université Bordeaux Montaigne, la thèse intitulée « Les enjeux communicationnels pour l’instauration d’une démarche de neutralité carbone. Le cas du Département de la Gironde » a été soutenue par Eloïse Vanderlinden.
Cette thèse en Sciences de l’Information et de la Communication a été co-dirigée par Mme Elizabeth Gardère et Mme Valérie Carayol. Le jury de soutenance était composé de M. Thierry Libaert (Université Catholique de Louvain), M. Vincent Liquète (Université Bordeaux Montaigne), Mme Sylvie Parrini-Alemanno (Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris), Céline Pascual Espuny (Université Aix Marseille) et Bertrand Véron (Conseil Départemental de la Gironde).
La thèse part du constat qu’en matière de transition écologique, si les particuliers sont encouragés à réaliser des éco-gestes (réduire ses déchets, favoriser les déplacements doux…), les infrastructures sur lesquelles reposent nos modes de vie sont, elles, toutes issues d’activités professionnelles. Il est alors possible de considérer que les pratiques professionnelles sont structurantes. Or, pour ces dernières, un autre constat s’imposait : celui de l’injonction à l’innovation technologique, présentée comme la réponse aux enjeux écologiques. Les sciences humaines et sociales ont pourtant un rôle important à jouer autour des questions de transition écologique, en s’intéressant notamment aux sens donnés aux nouvelles pratiques. Ici, la réflexion se concentre sur la communication qui permettrait de remettre l’être humain et ses pratiques au coeur des réflexions sur la transition écologique et de contribuer à l’émergence de nouveaux modes de vie.
Cadre théorique et problématique
L’originalité de la thèse est de mobiliser l’approche de la communication organisationnelle en se détachant de la sensibilisation. Partant d’un milieu professionnel grâce à une CIFRE au Département de la Gironde, elle développe l’idée que les changements de pratiques et de logiques pour l’intégration des principes de réduction des émissions demandent de nombreux ajustements pouvant être portés par une communication organisant l’action. La revue de littérature met en avant la pertinence des concepts du changement émergent, de la participation et de l’idée que ce sont les actions qui guident les logiques. La problématique se formule ainsi : quelles seraient les caractéristiques d’une communication visant le changement d’attitudes et de logiques des professionnels, qui soit à la fois éthique et engageante, créative et organisante, tout en étant adaptée au type de changement que représente la neutralité carbone ?
Hypothèses et méthodologie
Afin de dépasser une approche individuelle et de prendre en compte le contexte organisationnel, la première hypothèse suggère que les enjeux communicationnels d’une démarche de neutralité carbone se situent aux niveaux des interdépendances entre volontés personnelles et moyens organisationnels. La deuxième hypothèse se penche sur la communication en elle-même et avance que la méthode du design thinking permet un engagement en actes et une opérationnalisation des objectifs de neutralité carbone grâce à la création d’un contexte d’action commun et transversal. Enfin, la dernière hypothèse évalue si ces choix méthodologiques participent au lancement d’une dynamique organisationnelle et si la communication créative permet de structurer de nouvelles relations au travail.
Cette méthodologie correspond à une recherche-intervention en 3 temps. D’abord une phase d’exploration avec la réalisation de 31 entretiens exploratoires et l’observation participante de l’actualisation du Bilan des Emissions de Gaz à Effet de Serre de l’organisme d’accueil (BEGES). Puis une phase d’expérimentation avec l’animation d’une série de 6 focus groups autour de la commande publique responsable, en utilisant le design thinking. Enfin, une phase d’évaluation, composée d’entretiens semi-directifs, pour avoir les retours des participant.e.s sur les focus groups.
Résultats
Les résultats mettent en avant qu’une bonne sensibilisation aux questions environnementales n’est pas suffisante pour passer le cap de l’application aux pratiques professionnelles. Dans ce cadre, le raisonnement logique proposé par l’approche des émissions de gaz à effet de serre est pertinent pour relier les pratiques métiers aux questions écologiques. Il permet un double mouvement de pensée allant du détail de l’action, souvent complexe, aux grand enjeux environnementaux. Dès lors, il est à la fois possible d’identifier des objectifs ambitieux auxquels doivent contribuer les nouvelles pratiques, tout en prenant en compte les conditions de travail réelles. Cette approche permet de dépasser une logique reposant sur des « actions » de réduction, parfois isolées, pour initier des dynamiques relevant d’orientations plus globales. De même, il s’agit de dépasser les négociations sur des objectifs sous forme de pourcentages, restant relativement abstraits, pour être plus à l’écoute et s’assurer de commencer par ce qui compte pour ceux qui agissent. L’évaluation se fait alors en fonction des projets lancés et non pas des baisses d’émissions effectives qui peuvent demander du temps avant d’être significatives.
Ensuite, les résultats montrent que ces réflexions peuvent être renforcée par des pratiques de communication orientée vers la participation et la transversalité en interne. Tout d’abord, les animations issues de la méthode du design thinking sont engageantes : elles permettent à chaque participant.e d’exposer au groupe son positionnement et les synthèses des échanges à l’oral viennent également asseoir les propos tenus. Cette participation permet de se sentir déjà acteur ou actrice et facilite la remise en question des pratiques et des logiques de travail.
L’évaluation des focus groups autour de la commande publique montre aussi l’importance de la construction d’un socle commun à l’action, au-delà des différents corps de métiers et des niveaux hiérarchiques. Une fois cette base assurée, les professionnel.le.s ont besoin de « repères métiers » spécifiques pour arriver à un niveau d’action reconnu et, de là, se lancer dans des terrains de réflexions plus ou moins connus. Par exemple, il peut s’agir de la loi pour les rédacteurs et rédactrices de marchés. Ces éléments sont parfois directement applicables, et fonctionnent alors comme des sortes d’« éco-gestes professionnels ». La communication créative permet aussi d’explorer les grands enjeux auxquels participer (par exemple une commande publique responsable) en se permettant de se projeter vers un avenir désirable. Il s’agit ici de ne pas se limiter aux obstacles du quotidien pour explorer de nouvelles finalités et donner un nouveau sens au travail. Enfin, les échanges entre collègues permettent de définir de grands principes d’actions venant guider les choix et cohérents avec les nouveaux modes de vie émergeants (toujours pour la commande publique, prendre en compte le cycle de vie d’un produit dans un marché constitue un principe d’action).
Cette démarche de recherche a eu de véritables impacts sur les participant.e.s qui ont, pour certain.e.s, intégré de nouvelles réflexions dans leurs manières de travailler. Les échanges ont permis d’opérationnaliser le concept de neutralité carbone et de créer un réseau informel de collègues engagés autour de la commande publique responsable. En parallèle, une formation transversale a été créée, ouverte à la fois aux rédacteurs et rédactrices de marchés et aux opérationnel.le.s. Cette démarche transversale, une première pour l’organisme d’accueil, est un bon exemple d’espace formel où construire ensemble une même base d’action.
Ces résultats contribuent ainsi à la littérature sur l’accompagnement au changement des pratiques professionnelles pour contribuer à la neutralité carbone, dans une approche basée sur l’action, la participation et le libre arbitre des personnes investies.