Lors des journées de la pensée écologique qui se sont déroulées du 21 au 24 mars à l’abbaye de Cluny, Lucile Schmid a introduit et animé la table ronde introductive. Celle-ci portait sur le thème des récits de l’écologie et réunissait Corinne Morel-Darleux, essayiste, Alice Canabate, sociologue et Thierry Libaert, Président de notre Académie.
Lucile Schmid, Vice-Présidente du Think Tank La Fabrique écologique et membre du Comité de rédaction de la revue Esprit et de notre comité d’orientation, a cherché à questionner cette expression désormais incontournable de « Nouveaux récits ». Elle a bien voulu nous transmettre son propos introductif.
D’emblée la formulation du sujet de cette table-ronde d’introduction à la deuxième édition des rencontres des pensées de l’écologie à Cluny invite à laisser de côté des réflexions qui seraient réductrices.
Il est d’abord question de récits au pluriel, et non d’un grand récit comme on l’entend souvent évoquer. Or il n’existe pas de grand récit de l’écologie comme on parlerait d’un grand soir. Ce sont bien mille et une histoires qui s’inventent, se tissent autour de la transformation des sociétés, de la relation à la nature, d’une nouvelle articulation entre les individus et le collectif, de la prise en compte des destins à l’échelle planétaire.
L’usage sans frein du terme de « récits » auquel on assiste aujourd’hui, me semble également un point sur lequel cette table-ronde doit s’interroger. Il est actuellement pêle-mêle question de récits écologiques dans les entreprises, au sein des acteurs publics où se multiplient des exercices de prospective sur la base de scénarios – sont-ce des récits ? – , dans les discours politiques, dans les mondes de la communication, les scénarios des séries télévisées. Ce foisonnement de récits serait censé jouer un rôle positif pour faire changer les comportements au sein de la société. Mais à côté de cette incantation à créer des récits écologiques, ce qui frappe c’est la force et même la violence de certaines positions anti-écologiques qui reposent elles sur des récits à dormir debout – les pesticides ne sont pas dangereux, la technologie nous sauvera, dormez tranquille les politiques s’occupent de tout, l’écologie est punitive, les classes populaires ne sont pas concernées, elles souffrent des injonctions écologiques, elles veulent d’abord un porte-monnaie bien garni. Cette résurgence des récits anti écologiques dans la période que nous vivons n’est pas un hasard. Elle traduit la lutte à l’oeuvre entre des intérêts économiques puissants, soutenus par certains partis politiques au premier rang desquels l’extrême droite, et des acteurs qui souhaitent changer les choses. Elle traduit aussi les difficultés à trouver un langage commun et des espaces de discussions communs.
C’est là qu’il faut insister sur une évidence : des récits écologiques portés sans actions fortes en faveur de l’écologie, dans les politiques publiques, dans les entreprises, chez ceux qui ont du pouvoir plus globalement, ne permettront pas de changer les sociétés à la mesure de défis dont l’ampleur est connue et documentée. Sans actions résolues, sans élévation du niveau d’ambition des politiques publiques, sans exemplarité, sans respect des objectifs et sans contraintes collectives assumées et sanctionnées si elles ne sont pas respectées, les mille et une histoires de l’écologie resteront de beaux récits de résistance parfois, des contes merveilleux souvent, ou dans certains cas de pieux mensonges lorsque le greenwashing s’y immiscera. A quels récits déjà installés convient-il de répondre, quels sont les principaux points de débat, de conflits entre récits, récits de la société de consommation versus récits de société écologique ? Les rapports du GIEC sont-ils devenus des récits de l’époque ? Et que dire de la multiplication des scénarios de prospective ? Où placer les récits du pire et les récits du mieux ?
Notre sujet fait enfin le lien entre l’écologique et le solidaire. Nous sommes en quête d’une société écologique et solidaire. Bien sûr nous l’avons compris, l’un des grands enjeux de cette quête autour des récits écologiques est d’arriver à un projet de société commun où la relation aux enjeux planétaires ait pris une place centrale sans renoncer aux mécanismes de solidarité et de démocratie qui sont les nôtres. Je dirai même que l’enjeu est que l’écologie restitue à la solidarité et à la démocratie une force et une légitimité qu’elles semblent parfois avoir perdu. Comment construire les récits d’institutions écologiques ? Les procès climatiques sont-ils une forme de récit des combats d’une partie de la société contre les dirigeants politiques pour élever le niveau d’ambition ? La vie dans les ZAD est-ce un récit écologique ?
Alors oui cette table ronde devrait être l’occasion de passer d’une rive à l’autre du fleuve, d’associer les imaginaires et les récits de l’action, de ne pas oublier l’histoire qui permet de nourrir la vision des futurs.