Dan Antoine Blanc-Shapira dirige l’agence Sensation!, une agence spécialisée en communication événementielle. Mais c’est surtout un des meilleurs connaisseurs de cette activité. Il fut notamment Vice-Président de la filière en France et à ce titre initiateur des chantiers Eco-responsabilité / Bonnes pratiques/ Evaluation des impacts / Démarche qualité.
Pouvez-vous nous présenter la situation actuelle de la communication événementielle ? La crise Covid aura-t-elle eu des impacts majeurs sur le long terme de l’activité ?
Le COVID a été une période terrible pour la filière car celle-ci s’est arrêtée net du jour au lendemain … mais étonnamment, le manque a permis de faire prendre conscience aux organisations du rôle essentiel de l’événementiel : les rassemblements, les échanges, le « vivre ensemble » et à fortiori le « vivre-ensemble des moments forts », la sérendipité, cimentent les liens de la société (au sens d’un pays mais aussi au sens d’une entreprise ou organisation).
Sans événements, le lien social se délite… et nous avons tous pu constater que si une « visio » ou une rencontre en distanciel étaient utiles pour relayer l’information, elles ne pouvaient pas se substituer à la richesse du rassemblement physique, créateur de liens.
Clairement l’effet de la crise COVID a été la prise de conscience durable du rôle essentiel de l’événementiel (corroboré par la magie des Jeux Olympiques en France). Et l’activité de la filière s’en est fait l’écho : 2022, 2023 et surtout 2024 ont été des années fastes !
Sans événements, le lien social se délite
Comment définiriez-vous l’impact du numérique sur la communication événementielle ?
Le numérique ne remplace pas la rencontre ‘IRL » (« in real life »), mais il peut l’aider dans sa mise en œuvre (les outils de l’organisateur) et il peut « l’augmenter » dans sa forme (la mise en forme visuelle, les interactions, les personnalisations, …).
Par ailleurs, plus les individus sont confrontés au numérique dans leur vie quotidienne (et/ou professionnelle), plus ils manifestent le besoin de se retrouver en live pour vivre une expérience en commun, sans écrans. De la même façon, le télétravail (permis par les outils digitaux) pour pratique qu’il soit, génère le besoin de ménager des moments de retrouvailles fortes (et sans doute, mais c’est un autre sujet, de réinventer le rôle du bureau).
Pour résumer, l’on pourrait dire que les rencontres « à faible valeur ajoutée » peuvent utilement être remplacées par des visios, tandis que la multiplication du temps passé en distanciel nécessite de prévoir des moments événementiels à l’occasion de retrouvailles « en live ».
Et pour l’I.A., doit-on s’attendre également à un bouleversement profond pour la communication événementielle ?
Évidemment ! L’ensemble de la société est et sera bouleversée par l’IA et à ce titre, les événements (reflets ou contre-reflets de l’époque) le sont et le seront aussi.
Je distinguerai d’une part l’impact de l’IA en tant qu’outil : aide à la conception (je m’en sers personnellement comme punching ball pour tester et rebondir sur mes idées), capacité d’aller chercher très rapidement du contenu, aide à la mise en forme des concepts (visualisation sous forme d’images ou de vidéos, présentation des recommandations…), prise en charge de tâches répétitives… c’est donc un outil hyper puissant permettant de gagner du temps tout en préservant la « bande passante » de l’humain qui peut se concentrer sur la valeur ajoutée créative et stratégique.
D’un autre point de vue, dans le monde virtuel (les réseaux sociaux) édulcoré à l’aide de l’IA, l’événementiel apparaît comme un espace de vérité : la rencontre en live permet d’entendre le « vrai » discours d’une personnalité et non sa manipulation. Les participants ne sont plus cachés derrière un « pseudo » mais en confrontation réelle. Certes, les « fake news » peuvent toujours être assénées (suivez mon regard), mais le public présent est en capacité (s’il le souhaite) de vérifier immédiatement les informations à l’aide de l’IA par exemple.
Enfin, dans un monde qui communique de plus en plus en mode asynchrone (délai entre émission des messages, réception et réponse), l’événementiel demeure un des derniers bastions de l’échange synchrone (interaction en temps réel).
L’événementiel demeure un des derniers bastions de l’échange synchrone, de l’interaction en temps réel
Comment caractériseriez-vous la spécificité même de la communication événementielle parmi l’ensemble des domaines d’action de la communication d’entreprise ?
La spécificité de la communication événementielle est d’être extraordinairement efficace et rentable pour chaque € investi !
Les résultats des études portant sur 173 événements évalués (17.756 personnes interrogées) à l’aide du « Bilan d’Impact stratégique événementiel LÉVÉNEMENT–Occurrence* font apparaître des moyennes d’impacts exceptionnelles : Taux de mémorisation de 75%, Attribution de 85%, Conviction de 84% (!), Adhésion de 69%, Motivation de 82%, Esprit d’équipe de 65% et… incitation à l’achat de 63%. Et pour couronner l’ensemble, un taux moyen de « bouche à oreille » (« en a parlé à quelqu’un ») de 12 personnes.
Comment expliquer ces impacts hors norme ?
Sans aucun doute, par les spécificités de la communication événementielle :
– Les participants se déplacent volontairement (généralement) vers l’événement (≠ d’autres formes de communication subies) ;
– L’événementiel rassemble un groupe certes restreint de participants (≠ mass communication), mais de façon plus impactante. Et le « rebond médiatique » et/ou la « résonance sur les réseaux sociaux » (User Generated Content) d’un événement peut toucher un public de masse (peu de personnes présentes, mais un écho pouvant toucher des millions de personnes à distance, en réseau).
– Les participants sont « immergés » dans l’événement et l’ensemble de leurs sens sont sollicités. Ils captent donc plus fortement l’émotion et la force de l’expérience (bien plus que si un ou deux sens étaient sollicités) ;
– Les participants vivent un moment « unique » (exceptionnel) qui marque une rupture avec le quotidien ;
– L’événementiel génère un temps de contact long (une à plusieurs heures, voire plusieurs jours) qui permet la densification des messages ;
– L’événementiel produit une interaction entre les émetteurs et les récepteurs (une véritable boucle, les uns devenant tour à tour émetteur et récepteur) ce qui augmente l’attention et l’engagement du public ;
– … et il produit également une interaction entre les participants eux-mêmes (exemple : la « standing ovation » qui est un phénomène d’amplification de type « boule de neige »).
Existe-t-il des manières différentes de concevoir une opération de communication événementielle selon les types d’organisation, en termes de secteur d’activités ou en termes de distinction entre les entreprises et les organisations publiques (institutions, collectivités) ?
Par définition, aucune action de communication ne peut être (ne devrait être) conçue sans tenir compte de ceux à qui elle s’adresse et de qui elle émane. Elle est donc forcément sur-mesure et toute erreur en la matière transforme l’action en échec.
Le sujet de l’impact environnemental et social des actions de communication événementielle est-il réellement pris en compte par les organisations qui vous sollicitent ?
Nous avons initié dès 2006 avec mon confrère Benoît Désveaux, la démarche « éco événement » de l’ensemble de la filière événementielle (« filière précurseur » selon l’ADEME). Rapidement, nous avons élargi nos actions à l’ensemble du spectre de la RSE.
Si durant les premières années, nous avions l’impression de « ramer sur le sable », force est de constater qu’aujourd’hui la filière et en fait l’ensemble de la société, ont pris conscience des enjeux. Mais si personne n’est ouvertement « contre » (du moins en France), certains ne sont pas encore assez « pour ». Cela veut dire qu’ils ne sont pas assez actifs ou engagés en la matière et ne se contentent que de quelques micro-actions symboliques.
Grosso modo, 1/3 des clients de Sensation ! viennent à nous pour bénéficier de notre expertise en la matière, 1/3 des clients découvrent ou amplifient la démarche grâce à nos recommandations et 1/3 des clients… ne sont pas proactifs ou demandeurs en la matière (bien que nos process restent éco & socio engagés). Mais attention : nous n’avons jamais gagné un projet qui était « vert » mais pas bon stratégiquement ! L’événementiel, c’est une réponse pertinente à une problématique de communication et dont la mise en œuvre doit être la plus responsable possible. On peut rassembler tout en œuvrant vers le zéro déchet, on peut motiver tout en privilégiant les transports responsables, on peut fidéliser ou vendre tout en étant socialement engagés… !
Vous êtes aussi connu pour avoir organisé le championnat du monde d’échecs et les premiers grands événements échiquéens, quel regard portez-vous sur l’évolution actuelle du jeu ?
Le Festival international des Jeux que j’ai créé à Cannes, il y a bientôt 40 ans, s’est développé fabuleusement pour rassembler, en 2025, 150.000 personnes en 4 jours. Le concept de tournois de jeu d’échecs en parties rapides et éliminatoires initié en 1990 au Théâtre des Champs-Élysées avec le Trophée Immopar et ensuite le Grand Prix Intel est devenu la norme du circuit international actuel. Par ailleurs, le COVID et la série « Le Jeu de la Dame » ont fait exploser le nombre de pratiquants (et de pratiquantes !) du jeu d’échecs dans le monde entier.
L’évolution de l’informatique s’est trouvée illustrée par les très intenses confrontations entre l’ordinateur Deep Blue et Garry Kasparov. Si aujourd’hui, la relation entre l’homme et la machine ne se pose plus en termes de confrontation, elle s’épanouit dans l’aide à la réflexion et à l’apprentissage ainsi que dans les réseaux qui permettent de jouer à distance : des millions de joueurs s’affrontent quotidiennement en ligne sur l’échiquier.
A noter que l’exponentielle croissance de la connaissance échiquéenne grâce aux moyens informatiques amène les champions à vouloir challenger leur créativité en s’adonnant au « Fischer Random Chess » ou au Freestyle chess qui cassent la théorie en débutant les parties par un placement aléatoire de certaines pièces.
Mais pour revenir à l’événementiel, la partie d’échecs ou plus largement le jeu de société en live, dans un club ou sur un banc dans un parc, fait son grand retour ! Toujours ce fondamental besoin de la rencontre et de l’échange !
Dan-Antoine BLANC-SHAPIRA – fondateur de l’agence événementielle Sensation !, cofondateur du collectif eco-evenement.org
*A voir ou à lire :
La mini-série « Rematch » de Yan England sur Arte (2024) retraçant en 6 épisodes l’incroyable match entre Deep Blue et Garry Kasparov
Le documentaire « Garry Kasparov – Rebelle sur l’échiquier » 2024 de Tancrède Bonaro – Arte
Le livre « La nouvelle révolution des échecs » de Peter Doggers ed. Buchet-Chastel 2024