Par Thierry Libaert
La critique publicitaire est presque aussi ancienne que la naissance de la publicité au milieu du 19ème siècle. Tout lui fut reproché, d’abêtir les individus, de manipuler les esprits, de polluer les paysages. Plus récemment avec la généralisation du numérique, la critique se focalisa sur son caractère intrusif. Désormais, les professionnels de la publicité doivent affronter de nouvelles attaques, leur métier irait à l’encontre des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique.
Le déclic est apparu avec « l’affaire C-Discount » au début de l’année 2018. Parue au moment des soldes, cette publicité fit l’objet d’une plainte par l’ADEME mais le jury de déontologie de la publicité, l’une des trois instances de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) la jugea infondée. Le débat rebondit fin 2019 avec la loi anti-gaspillage et économie circulaire qui fit l’objet d’un très grand nombre d’amendements. Leurs auteurs arguaient que, si la publicité avait pour rôle de promouvoir la consommation, elle ne saurait inciter à la surconsommation. On conviendra que la frontière est étroite et fortement subjective.
La Convention Citoyenne sur le Climat qui a terminé ses travaux le 21 juin s’est prononcé de manière très radicale, notamment par l’obligation qui serait faite dans les publicités d’inclure la mention « En avez-vous vraiment besoin ? ». Il est en sorte demandé à la publicité d’inciter à l’achat de produits et, en même temps, d’en dissuader l’acquisition.
La critique est donc forte : interdiction de publicités portant sur des produits à empreinte carbone élevée, alourdissement des mentions légales, suppression de la publicité extérieure dans l’espace public et des imprimés dans les boîtes aux lettres, remplacement de l’autorité de régulation actuelle par une autorité administrative dotée d’importants pouvoirs de sanctions.
Mardi 9 juin fut publié un important rapport « Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique ». Rédigé par un collectif de 25 associations dont Résistance à l’Agression Publicitaire, ce rapport énumère de manière précise toutes les critiques contre la sphère publicitaire, et l’ensemble des arguments est souvent rigoureusement documenté. Une semaine plus tard, c’est un nouveau collectif associatif mené par Greenpeace qui propose une « Loi Evin pour le Climat ».
C’est dans ce contexte que j’ai remis jeudi 11 juin un rapport à Madame Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès de la Ministre de la transition écologique et solidaire. L’objectif était de délimiter des points de progrès permettant à la publicité d’être davantage en phase avec les grands enjeux environnementaux, notamment climatiques. Ce rapport qui contient une vingtaine de propositions a été rédigé avec Géraud Guibert, Conseiller maître à la Cour des Comptes, à qui j’avais proposé de joindre à moi pour ce travail.
J’ai constaté qu’un grand nombre de publicitaires n’ont pas réellement conscience de leur responsabilité. Selon eux, la publicité n’est que le reflet de son époque et évoluera avec elle, elle n’est qu’un outil au service des annonceurs et il faudrait éviter d’en faire le bouc émissaire de tous les maux de notre système économique.
Mais, en parallèle, la plupart des grandes associations de communication comme l’Union des Marques, notamment avec le programme FAIRe, ou l’AACC avec le label RSE et les dispositifs de formation, des organisations comme Entreprises pour l’Environnement autour du projet d’Alliance pour la publicité, l’ARPP elle-même avec la nouvelle recommandation développement durable publiée le 29 avril 2020, toutes ces structures témoignent d’une prise de conscience et d’une volonté d’engagement.
Pour la suite, la balle est entre les mains des pouvoirs publics. Ceux-ci doivent étudier les recommandations de notre rapport et préparer les réponses aux propositions de la Convention citoyenne. Il est étonnant qu’alors qu’explosent toutes les critiques sur les impacts écologiques de la publicité, la profession, pourtant porteuse d’une mission de communication, reste aussi silencieuse. Espérons qu’il puisse y avoir un réel débat et que les enjeux ne se règlent pas dans les antichambres du pouvoir à coups de démarche de lobbying. La publicité ne saurait être la seule activité à ne pas s’engager fortement envers les grands enjeux écologiques et notamment climatiques. Les professionnels seraient bien inspirés de renforcer et d’accélérer leur mutation.