Sur l’impact environnemental de la publicité numérique à l’heure du « programmatique ».

L’actualité est riche de questionnements autour de l’impact environnemental de la publicité. Les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat et les textes de loi en préparation ont notamment mis en lumière certains des effets par lesquels l’activité publicitaire contribue à aggraver le changement climatique. Ces effets peuvent être indirects, par la manière dont la publicité encourage les comportements de surconsommation ou stimule la vente de produits peu écologiques. Ces effets peuvent également être directs, par la manière dont les supports publicitaires sont consommateurs d’énergie et de ressources rares. Les panneaux d’affichage extérieur numériques (Digital Out Of Home) sont ainsi le plus souvent visés, de par leur conception et leur expansion, mais ne sont pas seuls dans leur catégorie. Cet article analyse la manière dont la publicité numérique, de par ses caractéristiques technico-économiques, est particulièrement consommatrice d’énergie et de ressources.

La publicité numérique renvoie, de manière générale, à la diffusion de contenus publicitaires sur des supports numériques et connectés. Ces supports occupent une place croissante dans le paysage publicitaire. Depuis 5 ans, la publicité sur Internet est devenue le premier support en termes de recettes et génère une part considérable de la croissance du marché publicitaire. Les médias traditionnels eux-mêmes tendent à tirer une part croissante de leur revenus publicitaires de leurs espaces numériques (e.g. panneaux d’affichage numériques, sites web et applications des éditeurs média)[1]. En dépit d’une conjoncture économique particulièrement difficile, cette tendance devrait se poursuivre en 2021[2]. La publicité en ligne est devenue, en 25 ans, un support incontournable pour les annonceurs. Le numérique offre effectivement des possibilités démultipliées par rapport aux médias hors-ligne et notamment :

  • Une abondance et une diversité d’espaces disponibles (e.g. liens sponsorisés, bannières, vidéos, contenus natifs), à la différence des supports traditionnels limités physiquement ou légalement ;
  • Une automatisation quasi-complète de la chaîne de valeur, tirant profit du très haut débit et de l’accroissement des capacités de calcul, permettant ainsi l’optimisation des processus d’achat/vente et de l’adressage, via le recours au ciblage des consommateurs ;
  • Une extension des possibilités de mesure de l’activité publicitaire, à travers l’utilisation de traceurs tels que les cookies, permettant des mesures fines et multiples de l’audience centrées sur les sites ou leurs utilisateurs, mais aussi de l’efficacité des publicités.

La publicité numérique offre ainsi aux annonceurs et à leurs prestataires des capacités étendues d’optimisation des budgets publicitaires et d’automatisation des processus d’achat média et d’adressage. Ces capacités s’incarnent particulièrement dans la publicité dite « programmatique » qui opère, de façon automatisée et à travers des mécanismes d’enchère en temps réel (real-time bidding) l’affichage de publicités  ciblées à la maille individuelle (microtargeting). Ce mode de transaction concerne une très large majorité des achats publicitaires sur Internet[3] et tend à se développer sur l’ensemble des supports numériques, y compris ceux des médias traditionnels. Par ce biais, l’achat publicitaire ne se focalise plus sur des contextes éditoriaux, mais vise principalement à atteindre des audiences bien précises. La publicité « programmatique » peut être perçue comme l’aboutissement d’un processus en cours depuis la seconde moitié du 20ème siècle où la mobilisation des moyens informatiques avait permis de faire des audiences l’objet de la transaction marchande (commodification)[4].

Par ailleurs, l’un des effets du « programmatique » est d’avoir considérablement augmenté et complexifié la chaîne de valeur industrielle de la publicitaire. Entre l’annonceur, ses prestataires et les éditeurs médias, une importante cohorte d’intermédiaires techniques réalise de nombreuses opérations techniques en quelques millièmes de secondes. Entre le moment où un internaute ouvre une page web et où celle-ci s’affiche, son profil a été reconnu ou qualifié suivant des critères définis à l’avance (e.g. profil sociodémographique, préférences, intentions d’achat) et attribué aux enchères à un acheteur qui opère pour le compte d’un annonceur. Du côté des acheteurs comme des vendeurs, le raffinement technique permet une comparaison systématique entre les offres afin d’optimiser tant le prix d’achat que le prix de vente, entre de très nombreux candidats potentiels. Une fois l’attribution réalisée, des processus de personnalisation permettent de présenter une publicité micro-ciblée dont l’efficacité est ensuite mesurée et analysée (e.g. taux de clic, durée de visionnage de la vidéo, taux de visite ultérieure sur le site de l’annonceur). Le déroulement est  relativement similaire pour ce qui concerne la publicité sur les réseaux sociaux, à la différence que ces opérations sont internalisées chez un unique éditeur (e.g. Facebook).

Ces processus multiples font dialoguer une quantité importante d’opérateurs présents à différents endroits du globe, accentuant ainsi la consommation énergétique sur trois postes principaux : le terminal de l’utilisateur final, les serveurs des opérateurs impliqués et le réseau Internet. Une étude relativement récente avait estimé la consommation énergétique totale de la publicité en ligne en 2016 à 106 TWh pour des émissions de carbone estimées à 60 Mt CO2e[5]. La croissance du volume d’opérations, à travers le raffinement des possibilités offertes en termes d’optimisation, de ciblage, de mesure et de personnalisation, ainsi que la généralisation progressive de ce mode de vente à l’ensemble des supports numériques peut faire présager une croissance de la consommation énergétique de la publicité numérique, sans compter l’ensemble des ressources rares consommées sur l’ensemble du cycle de vie des objets mobilisés tout au long de la chaîne de valeur. L’impact direct de la publicité en ligne sur l’environnement n’est donc pas négligeable et devrait croître dans les années à venir, avec l’extension des méthodes du « programmatique » à l’ensemble des supports numériques. Si les mesures de cet impact demeurent rares, il convient d’ores et déjà de s’interroger sur les moyens mis en œuvre pour le réduire, en cohérence avec les efforts collectivement déployés pour réduire l’empreinte des activités économiques sur l’environnement.

Le secteur de la publicité, de plus en plus ouvert au dialogue sur le sujet de l’environnement[6], sera progressivement confronté aux effets négatifs issus des modes transactionnels propre aux supports numériques. La promotion et l’extension de la publicité « programmatique » va de pair avec une augmentation des flux, des opérations et la mobilisation croissante d’intermédiaires techniques, dans un contexte où les médias traditionnels entament la transition numérique de leur offre publicitaire. Le raffinement du ciblage, l’enrichissement des profils d’utilisateurs par leur reconnaissance croisée sur plusieurs terminaux, ainsi que l’amélioration constante de la mesure de l’efficacité constituent autant de promesses que la publicité numérique adresse aux annonceurs. L’idée d’une réduction des volumes publicitaires ou d’une simplification de l’architecture technique et marchande ne semble pas aller dans le sens de l’histoire. Pour autant, les critiques portées contre l’impact environnemental des activités numériques – à l’égard du streaming vidéo, par exemple – se font de plus en plus ardentes. Les acteurs de la publicité à la recherche d’une meilleure acceptabilité sociale et environnementale devraient affronter ce sujet afin d’éviter de se voir confrontés, à terme, à une dure réalité : un contenu publicitaire n’est jamais sollicité par le consommateur, il n’est donc pas perçu comme indispensable.

Théophile Megali, docteur en sciences de gestion et chercheur associé à la Chaire Gouvernance et Régulation (U. Paris-Dauphine – PSL). Contact : theophile.megali[at]dauphine.eu. 


[1] IREP, France Pub & Kantar Media, Baromètre Unifié du Marché Publicitaire (BUMP) 2019.

[2] Magna / IPG Mediabrands prévoit notamment une hausse de 8% des investissements en publicité numérique en France en 2021. Source : “Marché publicitaire : selon les dernières tendances d’IPG Mediabrands, la France sera l’un des pays les plus touchés au monde par la crise avec un recul des investissements de 13 %”, La Correspondance de la Publicité, 16.06.2020.

[3] En 2019, 78% des achats publicitaires de bannières sur sites (display classique) et réseaux sociaux (social display) étaient réalisés en «programmatique». Source : SRI, UDECAM, Oliver Wyman, 23ème observatoire de l’e-pub, 2020.

[4] McGuigan, Lee. « Automating the audience commodity: The unacknowledged ancestry of programmatic advertising. » New Media & Society 21.11-12 (2019): 2366-2385.

[5] A titre de comparaison, ce chiffre en TWh correspond à environ 1,5 fois la consommation brute annuelle d’électricité en Ile-de-France en 2019 (calcul d’après le bilan électrique annuel de RTE). Source : Pärssinen, Matti, et al. « Environmental impact assessment of online advertising. » Environmental Impact Assessment Review 73 (2018): 177-200.

[6] Florence Roussel, « Inquiets de leur sort, les acteurs de la pub veulent devenir le ‘bras armé de la transition’ », actu-environnement.com, 06.10.2020.