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L’acceptabilité sociale de la transition écologique par Stéphanie Yates, PhD

Stéphanie Yates est professeure au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du Groupe de recherche en communication politique de l’Université Laval. Politologue de formation (Ph.D Université Laval 2010), elle étudie le rôle des citoyens et des groupes d’intérêt dans la gouverne des États et des entreprises. Dans cette perspective, elle se penche sur les stratégies de médiatisation des acteurs publics et privés en lien avec le lobbyisme, la participation publique, l’acceptabilité sociale et la responsabilité sociale des organisations. Elle s’intéresse également à la communication environnementale. Partant d’une approche interdisciplinaire, elle a publié de nombreux articles et chapitres dans des publications en communication, en science politique et en administration publique. Elle est également la directrice de l’ouvrage Introduction aux relations publiques. Fondements, enjeux et pratiques, publié aux Presses de l’Université du Québec en 2018.

Vous travaillez depuis quelques années sur l’acceptabilité sociale de la transition écologique. Pourquoi s’y intéresser ?

Face à la crise climatique, des choix sociétaux difficiles devront être faits, à la fois pour tenter de freiner le réchauffement de la planète et pour s’adapter aux changements climatiques. La transition des énergies fossiles vers des énergies renouvelables ou moins polluantes suscite déjà de vives tensions sociales, que l’on pense aux mobilisations citoyennes liées à l’exploitation des minéraux critiques et stratégiques (graphite, lithium) ou à l’éventuelle construction de nouveaux barrages hydro-électriques au Québec, ou encore aux taxes sur le carburant ou au retour du nucléaire en France.

Les vives controverses liées à ces projets de transition énergétique laissent présager l’intensité des débats qui nous attendent. Car la transition ne pourra qu’être énergétique : elle devra aussi être écologique. C’est en effet une véritable remise en question de nos modes de vie qui nous attend, et en son cœur, un nouveau regard sur la notion de croissance sous-jacente à nos économies occidentales, qu’on devra inévitablement remettre en question. En somme, les conflits à venir posent avec encore plus d’acuité la notion d’acceptabilité sociale.

Le terme d’acceptabilité sociale est apparu dans l’espace public il y a déjà plusieurs années, mais on a l’impression qu’il demeure flou et difficilement mesurable. Comment déterminer si un projet est socialement acceptable ?

L’acceptabilité sociale correspond à un jugement collectif à l’endroit d’un projet ou d’une politique, appelé à évoluer dans le temps. On sait aujourd’hui que plusieurs facteurs peuvent contribuer à l’acceptabilité d’un projet : au-delà de ses attributs techniques et financiers, sa raison d’être d’abord, son adéquation avec la vision et les valeurs d’une collectivité donnée, mais aussi la confiance qu’on accorde à son promoteur. Or, chaque cas est unique et tributaire des dynamiques sociopolitiques en présence. Il n’y a pas de recette qui fonctionnerait à tout coup ! Ultimement, en phase avec notre système de démocratie représentative, c’est aux autorités politiques à jouer le rôle d’arbitre en déterminant si un projet est socialement acceptable, mais cette évaluation reste fondée sur une analyse relativement subjective de la situation.

Que peuvent faire les autorités politiques pour être mieux outillées en la matière ?

Les autorités locales sont souvent les premières interpellées par les débats autour de projets qui soulèvent des enjeux d’acceptabilité. Les communautés riveraines, appelées à subir les externalités négatives de ces projets, sont en effet souvent celles qui se braquent en premier. Si, dans un premier temps, leurs réactions sont typiquement qualifiées de l’incarnation du proverbial syndrome du « pas dans ma cours », on se rend compte, en écoutant leurs arguments, que leur opposition est beaucoup plus profonde et questionne la légitimité même des projets débattus, leur nécessité et donc leur raison d’être. Ces communautés locales jouent ainsi un rôle de lanceur d’alerte, en quelque sorte. Les autorités locales, quant à elles, sont souvent bien mal outillées pour faire face à ce type d’opposition. Elles ont aussi parfois les mains liées, notamment en raison des redevances qu’elles attendent de ces projets, qui ont souvent été discutées avec les promoteurs bien en amont, et en toute confidentialité. C’est un cocktail parfait pour une situation explosive… qui se termine souvent, on l’a vu au fil de plusieurs cas, par le rejet de projets dans lesquels temps, énergie et argent ont déjà été investis.  

Comment alors éviter de telles situations ?

Les projets les mieux réussis sont ceux qui s’ancrent dans une vision partagée du développement d’un territoire donné. Cela implique d’instaurer un dialogue avec les populations locales bien en amont d’un projet donné, afin de coconstruire cette vision et de réfléchir à la vocation qu’on veut donner aux différents espaces d’un territoire. C’est à travers ce type d’exercice, qui se doit d’être le plus inclusif possible, qu’on pourra aussi s’entendre sur les compromis qui seront nécessaires pour réaliser la transition écologique qui nous attend.

Et enfin, quel est le rôle de la communication dans ces processus?

La communication est constitutive de l’acceptabilité sociale, elle est en son cœur. C’est en effet à travers la communication que les différents discours sont portés dans l’espace public sous le prisme de différentes stratégies d’argumentation. C’est aussi à travers la communication que se construisent les différentes formes de légitimité autour du projet. La légitimité du projet en lui-même – sa raison d’être – et celle de son promoteur en tant que porteur de divers engagements ; celle des autorités publiques en tant que fiduciaire de l’intérêt public, et enfin celle des acteurs sociaux en tant qu’intervenants qui ont leur mot à dire dans les débats. C’est aussi à travers la communication que pourront s’instaurer les dialogues nécessaires à la construction d’une vision partagée de ce que pourra être cette transition écologique qui nous attend.