Nous nous sommes entretenus avec le professeur et vice-président de l’ACCS, Bernard Motulsky au sujet de son nouveau livre « L’art de parler aux journalistes », rédigé conjointement avec René Vézina. À travers cet entretien, Bernard nous a partagé ses réflexions sur les évolutions récentes du paysage médiatique, l’impact des médias sociaux, et les défis posés par les fausses nouvelles.
Entretien par Justine Lalande
Justine Lalande : Vous avez décidé de mettre à jour votre précédent ouvrage “Comment parler aux médias” et de publier “L’art de parler aux journalistes”. Quelles sont les principales évolutions que vous avez observées dans l’univers des médias depuis la publication de votre premier livre ?
Bernard Motulsky : Plus qu’une simple mise à jour, il s’agit d’une réécriture complète, après 16 ans. Ne serait-ce que parce que les journalistes et les émissions dont nous faisions mention dans la première édition n’existent plus. Mais plus encore, le paysage médiatique a subi un chambardement complet ces 10 dernières années, principalement à cause de la perte des revenus publicitaires. Le numérique, notamment Google et Meta, capte environ 80 % des revenus publicitaires qui allaient auparavant à l’audiovisuel, aux journaux et à la télévision. Cela a conduit à la disparition des médias régionaux, à la consolidation de certains médias, et à la réduction du personnel dans les salles de presse, ainsi qu’à l’élimination des journaux papier.
Ce changement a aussi un impact direct sur les relations publiques. Moins il y a de journalistes, plus il est difficile de trouver un journaliste qui souhaite parler de nos nouvelles. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de personnes travaillant en relations publiques : on parle d’environ 4 communicateurs pour 1 journaliste, alors qu’il y a 20 ans, c’était l’inverse. Cela exige aux communicateurs d’être plus performant, stratégique, et de produire des contenus plus pertinents.
Justine Lalande : Dans votre livre, vous abordez l’écosystème médiatique dans son ensemble, y compris l’impact croissant des médias sociaux. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont les médias sociaux ont influencé la relation entre les individus et les journalistes ?
Bernard Motulsky : Les médias sociaux ont transformé la diffusion des messages et des communiqués. Désormais, politiciens, artistes, cadres et vedettes utilisent ces plateformes pour leurs déclarations, remplaçant les outils traditionnels. Les journalistes doivent désormais suivre attentivement ces publications sur les médias sociaux. Les communicateurs peuvent ainsi diffuser plus rapidement leurs nouvelles, sans avoir besoin de l’intermédiaire que représente le journaliste.
Cela fait aussi que les journalistes sont aussi obligés de publier sur ces plateformes, car c’est là que circule l’information. Ils publient souvent en trois phases : une brève sur les réseaux, l’article complet sur les sites web de médias, puis ensuite, ils publient des réactions ou des interactions par rapport à leur article. Cela peut évidemment générer un stress psychologique, mais cette instantanéité qu’offre les plateformes permettent de mesurer immédiatement les réactions du public.
Malgré ces changements, le rôle des journalistes reste fondamental et n’a pas changé sur le fond. Ils demeurent la principale source d’information crédible et professionnelle.
Et je dis souvent que c’est normal d’être stressé avant de parler à un journaliste, mais on doit avoir en stress acceptable, pas un qui nous empêche de leur parler. Et surtout, méfiez-vous du jour où vous ne vivez plus de stress !
Justine Lalande : Dans un monde où les nouvelles circulent rapidement et où les fausses nouvelles sont malheureusement présentes, comment peut-on, en tant qu’organisation ou individu, présenter une perspective équilibrée et informée dans un environnement où les récits simplistes et sensationnalistes semblent souvent prévaloir ?
Bernard Motulsky : Je ne suis pas entièrement d’accord avec l’affirmation que les fausses nouvelles ont plus d’impact aujourd’hui. Les tabloïds et les publications sensationnalistes existent depuis que les médias existent. Les idées farfelues circulent mieux, certes, mais elles n’ont pas nécessairement plus d’impact. Ce n’est pas parce que quelqu’un qu’on connait vaguement, qui écrit une publication un peu fantaisiste qui sera lue par 30 ou 40 personnes, qu’elle aura de l’influence. La grande différence c’est que les idées farfelues qui circulaient avant émanaient de groupes organisés, avec des stratégies de communication alors qu’aujourd’hui, elles peuvent venir de tout le monde. Certes, les médias sociaux nous exposent davantage à ces contenus, mais cela ne signifie pas qu’ils ont plus d’influence. Et oui, il y a plus de clivage dans les idées, aux États-Unis et en France notamment, mais je ne suis pas certain que ce soit lié aux médias sociaux.
La seule façon de contre balancer une fausse information, est d’en donner une vraie. Et les communicateurs sont souvent au fait de où et comment les décisions se prennent. On peut faire un long bout de chemin en expliquant clairement les décisions et les processus, si les organisations acceptent d’en parler. C’est une de mes découvertes !
De plus, la curiosité du public est courte. Le véritable défi des communicateurs est de pouvoir communiquer la complexité de manière concise. Parmi les 10 commandements dont on parle dans le livre, mon préféré est « Sois bref ou tais-toi ».
Justine Lalande : Vous avez une expérience considérable dans le domaine des médias et des communications. Pouvez-vous partager avec nous une anecdote ou une leçon que vous avez apprise au cours de votre carrière, qui illustre l’importance d’une communication efficace avec les journalistes ?
Bernard Motulsky : Un événement qui m’a particulièrement marqué est la crise d’Oka, au Québec, sur le territoire autochtone de Kanesatake, en 1990. On avait un contexte en pleine tension, il y a eu un mort et l’armée canadienne a été appelée par le Premier ministre du Canada pour régler le conflit. Alors qu’on n’imagine pas que l’armée soit nécessairement maître dans l’art de la communications, elle a mené une opération de communication fascinante. Ils ont pris le temps d’expliquer leurs actions, comment ils n’allaient pas utiliser la force, avec des briefings réguliers aves les journalistes. Ils ont fait des schémas pour bien expliquer comment ils allaient s’y prendre. Cette communication a permis, notamment, que les barricades soient levées sans effusion de sang, évitant la catastrophe humanitaire qu’on prévoyait.
Parmi les nombreuses leçons que l’on peut tirer de ce conflit, ça a notamment démontré l’importance de la communication avec les journalistes. Des communications efficaces peuvent aider à résoudre des conflits en mettant sur la table les intentions et les points de consensus. Tous les conflits finissent un jour, ça peut prendre 30 jours, 30 ans, 100 ans. Mais une chose est certaine: la communication peut accélérer ce processus.
Sur le même sujet, écoutez la critique de la chroniqueuse Valérie Gaudreau à propos de cet essai : un petit guide fort intéressant pour quiconque pourrait être appelé un jour à être la source d’un journaliste… https://www.youtube.com/watch?v=REnbUL_q4hw
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