Questions à… Mathieu Jahnich, consultant-chercheur en marketing, communication et transition écologique.

Propos recueillis par Rita Fahd

1. Cela fait plusieurs années que tu travailles sur la communication environnementale. Peux-tu nous présenter l’origine de ta démarche ?

En 1999, alors que je terminais ma formation universitaire en sciences dures, je suis tombé sur les travaux d’une chercheuse grecque qui étudiait le traitement par les médias de la pollution de l’eau. Je me souviens encore de son nom : Yolanda Ziaka. J’ai trouvé cela passionnant et j’ai décidé de suivre sa voie, sur une autre thématique qui me tenait à cœur : la qualité de l’air en milieu urbain.

J’ai obtenu un financement du Ministère de la recherche pour réaliser ma thèse de doctorat sur le sujet. J’ai alors analysé les discours médiatiques et aussi ceux des constructeurs automobiles (le greenwashing était déjà bien présent), j’ai réalisé des entretiens pour comprendre les perceptions et les comportements du public et j’ai proposé des recommandations pour inciter les autorités publiques à mieux communiquer, en particulier sur les impacts sur la santé de la pollution de l’air.

Je garde de cette période le goût de l’analyse des discours et des postures d’acteurs, l’ouverture aux parties-prenantes et la volonté de produire des recommandations utiles aux décideurs, qu’ils soient publics ou privés.

2. Selon toi, qu’est-ce qui a le plus évolué dans la communication environnementale des entreprises ?

Il me semble que toutes les entreprises sont désormais conscientes des multiples impacts environnementaux et sociaux de leur activité et des attentes de la société civile pour réduire ces externalités négatives et mieux partager les bénéfices. Elles disposent d’outils et de méthodes pour évaluer leurs impacts, définir des stratégies pertinentes et mettre en œuvre des actions de réduction.

Les communicant·es qui travaillent dans ou au service de ces entreprises ont également accès à des ressources leur permettant de prendre du recul et d’identifier des leviers d’action, comme le Guide ADEME de la communication responsable et à de nombreuses analyses critiques d’actions de communication environnementale (cas de greenwashing, trophées de campagnes inspirantes…).

Autrement dit, tous les éléments sont réunis pour que les professionnelles et les professionnels de la communication se saisissent des enjeux et mettent en œuvre les principes de la communication responsable pour valoriser l’engagement de leur entreprise et fassent connaître leurs produits et services.

3. Tu t’intéresses plus particulièrement à la régulation de la publicité environnementale, quel bilan peux-tu effectuer de la jurisprudence du jury de déontologie de la publicité ?

Effectivement, j’analyse et je « teste » le dispositif d’auto-régulation publicitaire à travers mes activités d’expertise (la contribution au bilan « Publicité et environnement » ARPP-ADEME), de recherche (l’analyse des arguments d’annonceurs confrontés à des accusations de greenwashing) et citoyennes (le signalement au Jury de déontologie publicitaire de publicités litigieuses).

Plusieurs affaires récentes témoignent selon moi d’un assouplissement de l’interprétation des règles déontologiques par le JDP. Les allégations suivantes ont ainsi été jugées conformes aux règles déontologiques :

Le rejet de ces plaintes est un mauvais signal envoyé aux annonceurs et à leurs agences, dans un contexte où les produits et services sont plus naturels et responsables les uns que les autres, où les entreprises sont toutes engagées pour la « neutralité carbone » ou pour un monde « durable ». Ces allégations contribuent selon moi à la perte de confiance grandissante entre les publics et le discours des entreprises. Elles devraient être sanctionnées.

4. Tu n’as pas pris position sur le projet de loi climat / énergie sur son volet publicité. Quel jugement portes-tu sur ce projet ?

Je trouve que le projet de loi n’est pas à la hauteur des attentes de la société civile, pourtant clairement exprimées par la Convention Citoyenne pour le Climat. Il me semble que la problématique principale, qui n’a pas été traitée, est celle de l’exposition des publics aux messages publicitaires. Comment réduire le nombre de messages auxquels nous sommes exposés quotidiennement ? Ils nous incitent à acheter toujours plus de biens (même plus responsables) et continuent à propager l’idée du bonheur par la consommation. Ils vont à l’encontre du principe de sobriété et empêchent d’autres messages d’émerger comme ceux portés par des collectifs locaux qui agissent et proposent des solutions alternatives tout autour de nous.

Prenons simplement l’exemple de la multiplication des publicités pour des véhicules de type SUV. Ils sont peut-être hybrides ou électriques mais ces publicités continuent à valoriser le modèle de la voiture  individuelle, toujours plus grosse, lourde et suréquipée, et viennent contrecarrer le développement des mobilités douces et des transports collectifs et masquent les autres impacts liés à leur fabrication et à leur fin de vie. Comment faire comprendre aux Français qu’acheter un tel véhicule est contraire aux objectifs de lutte contre le changement climatique et qu’il faut réfléchir ensemble et chercher à changer nos habitudes de déplacement si on les bombarde de publicités qui valorisent leur possession et le « plaisir de conduire » ?  

5. Dans ce projet, il y a désormais un article assimilant le greenwashing à une démarche commerciale trompeuse. Penses-tu que cela freine le greenwashing ?

Les actions judiciaires contre l’utilisation abusive de l’argument écologique sont déjà possibles sur le fondement de l’interdiction des pratiques trompeuses, mais il faut reconnaître qu’elles restent rarissimes ! Le projet de loi devrait mettre un coup de projecteur sur le greenwashing et pourrait inciter la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et les juges à davantage se saisir du sujet.

Mathieu Jahnich, consultant-chercheur en marketing, communication et
transition écologique.

Pour plus d’informations : www.mathieu-jahnich.fr