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3 septembre 2024

Dans la série « nos grands prédécesseurs », après André de Marco et Jean Pierre Beaudoin, pionniers de la communication d’entreprise et des relations publiques, place à Jean Pierre Raffin. Jean Pierre Raffin est un des précurseurs de l’enseignement de l’écologie en France, il a aussi été Président de France Nature Environnement et député européen.

Entretien par Thierry Libaert.

Q : Vous avez été un des précurseurs en France de l’enseignement de l’écologie. Vous avez d’ailleurs fondé la discipline en 1970 à l’Université Paris VII avec François Ramade. Bien que la défense de l’environnement s’appuie depuis fort longtemps sur des données scientifiques indiscutables, celle-ci tend à régresser un peu partout dans le monde. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

    Effectivement, dans mon domaine de compétence : la diversité du monde vivant, je constate que plus les données scientifiques s’ajoutent moins les responsables économiques et politiques en tiennent compte voire reviennent en arrière. Je pense que le volet « diversité du vivant » de la transition écologique est moins perceptible tant à l’opinion publique qu’aux décideurs à la différence du volet climatique. L’impact de la disparition d’une part du monde vivant, à long terme, est moins visible que celui des événements climatiques même si comme le disait l’écologue Robert Barbault (2006) la biodiversité est l’assurance-vie de l’humanité.

    S’ajoute le fait que dans les années 1980, l’enseignement universitaire a délaissé la biologie naturaliste au profit d’une approche biomoléculaire du monde vivant et tout récemment, comme l’a fait remarquer Philippe Grandcolas (2021) , dans l’enseignement secondaire , les programmes relatifs au fonctionnement des écosystèmes et au rôle de la diversité biologique ont été supprimés. Pour ce qui concerne la France, le fonds culturel est encore marqué des idées anthropocentriques du siècle des Lumières où l’homme « maître et possesseur de la nature » n’a pas à faire grand cas des vivants non-humains. L’on peut aussi évoquer le rôle du christianisme notamment catholique qui n’a retenu du récit de la Genèse  que la multiplication du genre humain (alors qu’il ne s’agissait que d’un réflexe de survie du peuple hébreu en exil à Babylone) et la « domination » de  l’homme  taisant les passages de la Bible (Gn9, 9-10) où Dieu fait alliance, après le déluge  avec le peuple hébreu et « tous les êtres vivants (…) oiseaux, bestiaux, toutes les bêtes sauvages ».

    Q : Vous avez également un long parcours de militant environnemental. Vous avez été Président de France Nature Environnement, parmi les premiers membres du Comité de Veille Ecologique à l’époque de la Fondation Nicolas Hulot. Quel regard portez-vous sur la communication des associations environnementales à l’heure où l’on observe de plus en plus de mouvements de désobéissance et parfois de fortes violences ?

    Dans la communication il y a deux éléments : le message émis et sa réception. Ce n’est pas parce que telle ou telle, organisation délivre un message qu’il est repris et diffusé. Force est de constater que les médias s’intéressent plus aux actions spectaculaires, aux coups médiatiques qu’aux actions de fond, travail quotidien au ras des pâquerettes quelle que soit la communication faite. Il est donc difficile d’évaluer l’action des mouvements environnementalistes sur le seul écho médiatique qui, de facto, ne reflète pas la réalité.  Pour prendre un exemple concret Greenpeace organise des actions médiatiques qui contribuent à la sensibilisation de l’opinion publique et peut la mobiliser mais ne mène pas d’actions de terrains au  quotidien (contentieux pour faire appliquer lois et règlements, gestion d’espaces naturels, fabrication d’outils pédagogiques, etc) qui  sont le lot de bien des associations.

    Q: Vous avez également un parcours politique très riche, que ce soit en France avec votre participation en cabinet ministériel, à l’origine de Europe Ecologie puis comme député européen. Peut-on espérer du monde politique qu’il agisse réellement pour lutter contre le dérèglement climatique et pour la sauvegarde de la biodiversité ?

    Je n’ai participé qu’à un seul cabinet, celui de Dominique Voynet, ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, de juin 1997 à septembre 1999.

    Auparavant j’avais été co-député (1989-1991) et député (1991-1994) au Parlement européen, sur un poste d’ouverture chez les Verts, c’est-à-dire san être membre des Verts. J’ai adhéré chez les Verts en 1995 que j’ai quitté en 2006, période où je n’étais qu’un adhérent de base, hors mon séjour au cabinet de Dominique Voynet. J’ai ensuite, après avoir été président du Rassemblement pour une Europe écologiste (REE), association support de la liste  Europe-Ecologie aux élections européennes de 2009, conduite par Daniel Cohen-Bendit , adhéré à Europe-Ecologie-Les Verts de 2010 à 2012.

    On peut toujours espérer mais ces temps derniers les politiques exerçant le pouvoir ont été plutôt prolixes en discours qu’en actes et une partie de ceux qui souhaitent les remplacer ne semblent guère différer voire augurerait d’un retour en arrière.  Je fais actuellement beaucoup plus confiance aux acteurs de terrain.

    Q : Vous vous êtes beaucoup interrogé sur des notions comme celle de nature, d’environnement, de radicalité, sur les relations entre l’homme et la Nature. Selon vous, que faudrait-il faire pour réellement sensibiliser à la protection de l’environnement ?

    Il  faudrait  d’abord définir ce que l’on entend par « protection de la nature » et « protection de l’environnement ». Agir pour que mon environnement urbain ne soit pas pollué par les émissions des véhicules qui y circulent (gaz d’échappement, particules d’amiante, etc) n’a rien à voir avec le maintien d’une diversité  de la flore  et de la faune  qui ont longtemps cohabités avec les humains en ville et qui ont disparu ou sont en voie de disparition. Je pouvais, par exemple, au début des années 1970, montrer à mes enfants, dans mon environnement urbain immédiat : moineaux, martinets noirs, hirondelles de fenêtre, etc. Je ne peux le faire pour mes petits-enfants.

    Pour ce qui concerne la protection de la nature je reprends ce qu’écrivait Jean Dorst en 1965 (Avant que Nature meure) : « L’homme a assez de raisons objectives pour s’attacher à la sauvegarde du monde sauvage. Mais la nature ne sera en définitive sauvée que par notre cœur. Elle ne sera préservée que si l’homme lui manifeste un peu d’amour, simplement parce qu’elle est belle et parce que nous avons besoin de beauté, quelle que soit la forme à laquelle nous sommes sensibles du fait de notre culture et de notre formation intellectuelle.  Car cela fait partie intégrante de l’âme humaine. ». C’est d’ailleurs après avoir lu Dorst et Julien ( L’homme et la nature, 1965) que je me suis « engagé » en protection de la nature comme bien des naturalistes (alors jeunes …) de ma génération. Pour ce qui concerne « l’environnement » la sensibilisation peut user de l’argument santé au sens large.

    Q : Vous avez été Président du Parc National des Ecrins et vous êtes toujours membre de son Conseil Scientifique. Vous pensez que la défense de l’environnement doit d’abord passer par la sauvegarde de notre environnement de proximité ?

    Non , je suis membre du Conseil scientifique du Parc national des Ecrins depuis 1979 et j’en ai , un temps, assuré la présidence (2002-2006) ainsi que ,la présidence du Collège des présidents de conseils scientifiques de Parcs nationaux (2005-2006). Mais j’ai aussi été membre du Conseil d’administration du Parc national des Ecrins (1978-1989/1995-1997 et 2014-2021).

    Même interrogation que précédemment à propos de « l’environnement » mot valise dont jadis François Ramade  disait que ne reposant sur aucun fondement scientifique il était peu opérationnel.

    C’est quoi mon environnement de proximité ? L’Europe, par rapport au monde, la France par rapport à l’Europe, mon quartier par rapport à Paris, le chalet familial de mon épouse en Vallouise par rapport aux Hautes-Alpes, la maison familiale de mes parents en Brionnais  par rapport à la Saône-et-Loire ? Ils sont tous, à un moment ou à un autre mes environnements de proximités.

    L’usage généralisé des récits vers une société écologique et solidaire.

    Lors des journées de la pensée écologique qui se sont déroulées du 21 au 24 mars à l’abbaye de Cluny, Lucile Schmid a introduit et animé la table ronde introductive. Celle-ci portait sur le thème des récits de l’écologie et réunissait Corinne Morel-Darleux, essayiste, Alice Canabate, sociologue et Thierry Libaert, Président de notre Académie.

    Lucile Schmid, Vice-Présidente du Think Tank La Fabrique écologique et membre du Comité de rédaction de la revue Esprit et de notre comité d’orientation, a cherché à questionner cette expression désormais incontournable de « Nouveaux récits ». Elle a bien voulu nous transmettre son propos introductif.

    D’emblée la formulation du sujet de cette table-ronde d’introduction à la deuxième édition des rencontres des pensées de l’écologie à Cluny invite à laisser de côté des réflexions qui seraient réductrices.

    Il est d’abord question de récits au pluriel, et non d’un grand récit comme on l’entend souvent évoquer. Or il n’existe pas de grand récit de l’écologie comme on parlerait d’un grand soir. Ce sont bien mille et une histoires qui s’inventent, se tissent autour de la transformation des sociétés, de la relation à la nature, d’une nouvelle articulation entre les individus et le collectif, de la prise en compte des destins à l’échelle planétaire.

    L’usage sans frein du terme de « récits » auquel on assiste aujourd’hui, me semble également un point sur lequel cette table-ronde doit s’interroger. Il est actuellement pêle-mêle question de récits écologiques dans les entreprises, au sein des acteurs publics où se multiplient des exercices de prospective sur la base de scénarios – sont-ce des récits ? – , dans les discours politiques, dans les mondes de la communication, les scénarios des séries télévisées. Ce foisonnement de récits serait censé jouer un rôle positif pour faire changer les comportements au sein de la société. Mais à côté de cette incantation à créer des récits écologiques, ce qui frappe c’est la force et même la violence de certaines positions anti-écologiques qui reposent elles sur des récits à dormir debout – les pesticides ne sont pas dangereux, la technologie nous sauvera, dormez tranquille les politiques s’occupent de tout, l’écologie est punitive, les classes populaires ne sont pas concernées, elles souffrent des injonctions écologiques, elles veulent d’abord un porte-monnaie bien garni. Cette résurgence des récits anti écologiques dans la période que nous vivons n’est pas un hasard. Elle traduit la lutte à l’oeuvre entre des intérêts économiques puissants, soutenus par certains partis politiques au premier rang desquels l’extrême droite, et des acteurs qui souhaitent changer les choses. Elle traduit aussi les difficultés à trouver un langage commun et des espaces de discussions communs.

    C’est là qu’il faut insister sur une évidence : des récits écologiques portés sans actions fortes en faveur de l’écologie, dans les politiques publiques, dans les entreprises, chez ceux qui ont du pouvoir plus globalement, ne permettront pas de changer les sociétés à la mesure de défis dont l’ampleur est connue et documentée. Sans actions résolues, sans élévation du niveau d’ambition des politiques publiques, sans exemplarité, sans respect des objectifs et sans contraintes collectives assumées et sanctionnées si elles ne sont pas respectées, les mille et une histoires de l’écologie resteront de beaux récits de résistance parfois, des contes merveilleux souvent, ou dans certains cas de pieux mensonges lorsque le greenwashing s’y immiscera. A quels récits déjà installés convient-il de répondre, quels sont les principaux points de débat, de conflits entre récits, récits de la société de consommation versus récits de société écologique ? Les rapports du GIEC sont-ils devenus des récits de l’époque ? Et que dire de la multiplication des scénarios de prospective ? Où placer les récits du pire et les récits du mieux ?

    Notre sujet fait enfin le lien entre l’écologique et le solidaire. Nous sommes en quête d’une société écologique et solidaire. Bien sûr nous l’avons compris, l’un des grands enjeux de cette quête autour des récits écologiques est d’arriver à un projet de société commun où la relation aux enjeux planétaires ait pris une place centrale sans renoncer aux mécanismes de solidarité et de démocratie qui sont les nôtres. Je dirai même que l’enjeu est que l’écologie restitue à la solidarité et à la démocratie une force et une légitimité qu’elles semblent parfois avoir perdu. Comment construire les récits d’institutions écologiques ? Les procès climatiques sont-ils une forme de récit des combats d’une partie de la société contre les dirigeants politiques pour élever le niveau d’ambition ? La vie dans les ZAD est-ce un récit écologique ? 

    Alors oui cette table ronde devrait être l’occasion de passer d’une rive à l’autre du fleuve, d’associer les imaginaires et les récits de l’action, de ne pas oublier l’histoire qui permet de nourrir la vision des futurs.