A l’occasion de notre séminaire du 24 novembre 2021 consacré à l’Astroturfing, Stéphane Billiet, ancien président du Syndicat français des Relations Publics, Vice-Président de l’agence WeChange, a présenté le point de vue des professionels sur le sujet. Pour lui, aucun doute n’est possible et toute agence qui se livrerait à cete pratique mériterait d’être exclue de la profession.
Les relations publics n’ont pas toujours bonne réputation. Nous sommes parfois perçus comme « l’industrie du mensonge » et il est vrai que le « dark » ou « black PR » existe. C’est la face la moins glorieuse de notre métier.
Les médias numériques ont amplifié la capacité d’influencer de manière dissimulée. Les réseaux sociaux se sont imposés comme le terreau le plus fertile pour « faire pousser de la fausse pelouse ». Avec eux, nous avons changé de dimension.
L’industrie de la désinformation prend une envergure inédite et planétaire avec l’arrivée sur le marché de sociétés prêtes à déployer de faux comptes sur les réseaux sociaux, de faux récits et de pseudo sites web d’actualité. Ce phénomène est amplifié par la porosité des frontières et la capacité d’action d’un grand nombre d’opérateurs basés loin de chez nous.
Ces professionnels savent s’appuyer sur des « usines de trolls » formées de bataillons de producteurs de contenus – bien humains – qui se connectent à de faux comptes Facebook ou Twitter pour commenter ou orienter les conversations. Et même si les géants des réseaux sociaux annoncent régulièrement la suppression de nombreux comptes et de groupes animés par des agences de désinformation, les « dark PR » continuent de prospérer. Ces officines, je ne peux pas me résoudre à les assimiler aux relations publiques.
D’ailleurs je pense qu’on est certainement très en retard sur la compréhension et la prise de mesure du phénomène de l’astroturfing, tant du point de vue académique que du regard que les praticiens portent sur le phénomène.
Les professionnels des RP en sont-ils la cause ?
Nous, dont le métier est de gérer l’opinion, savons bien que notre cuisine peut être toxique si le dosage entre l’émotionnel et le rationnel penche du mauvais côté. Nous savons que, comme en médecine, « c’est la dose qui fait le poison » et que les mauvais génies des RP que sont la propagande et la manipulation ne sont jamais bien loin.
En fait, en trente ans de pratique, j’ai eu très peu connaissance de cas avérés de manipulation qui auraient concerné mes confrères français.
Je continue de penser que, même si tout ne se sait pas, rares sont les professionnels qui empruntent le chemin tortueux de la persuasion, de la manigance, de la dissimulation et que, pour l’immense majorité d’entre nous, c’est le chemin bien droit, bien clair, de la conviction que nous préférons. Que nous faisons tout – pour nous-mêmes et vis-à-vis de nos clients – pour que l’influence n’ait jamais rien à voir avec la manipulation, la désinformation ou l’astroturfing.
Pour les professionnels des RP, ces nouvelles formes de déstabilisation ne font que renforcer la nécessité de toujours mettre en avant et de toujours rappeler à la déontologie. La grande majorité des patriciens que je pratique depuis presque 30 ans, pensent que la fin ne doit jamais l’emporter sur les moyens, pas plus que l’appât du gain.
En tant que consultants d’agence, nous avons un rôle privilégié de conseil auprès de nos clients sur la façon d’avoir de l’impact sans prendre de mauvaises voies. Cependant, vous avez raison de travailler sur ces questions car le danger monte.
La société contemporaine, technologiquement modifiée, questionne l’éthique comme jamais, tellement les armes de déstabilisation massive sont disponibles, efficaces et peu coûteuses.
Mais qu’il s’agisse d’astroturfing, de fake news, ou de toute forme de pratique des RP répréhensible au titre de la morale et du respect du droit, la profession doit veiller et exclure. Sans aller jusqu’à la création d’un conseil de l’Ordre, je suis favorable à l’exclusion d’une agence de notre syndicat si elle venait à mal se comporter. C’est ce qu’avait fait la PRCA en 2017 en excluant Bell Pottinger dans le « Gupta Gate ».
Notre syndicat n’a pas eu, jusqu’à présent, de cas similaire à traiter, mais je suis convaincu, connaissant mes confrères, que nous prendrions la même décision.
Même si les agences de relations publics dignes de ce nom respectent ces principes, les plates-formes éprouvent de plus en plus de difficultés à empêcher les dark PR d’envahir leurs écosystèmes.
Pour ma part et pour ce qui concerne le marché français des RP, je suis convaincu que tout commence par l’éducation des futurs professionnels, que c’est ainsi qu’on peut limiter les dérives. En incluant systématiquement un cours sur l’éthique dans les parcours d’enseignement. Les détracteurs des RP – qui les pratiquent eux-mêmes à leur profit – dénoncent le rôle néfaste de ce qu’ils qualifient « d’industrie du mensonge ». De fait, les RP ont été, peuvent être, et seront encore longtemps – potentiellement – utilisées à des fins de manipulation.
Cette dénonciation, il faut l’entendre et la prendre en compte comme un garde-fou.
Si les technologies évoluent, si les pratiques évoluent en conséquence, faisant toujours plus appel aux possibilités du digital, la question de l’éthique doit rester un invariant.
Notre arsenal déontologique est ce qu’il est mais il existe. Nous le faisons évoluer, en France et à l’échelle internationale, en lui adjoignant régulièrement des chartes qui portent spécifiquement sur tel ou tel sujet comme, par exemple, la « charte influenceurs » qui est la dernière en date.
Tout récemment, le Conseil d’éthique de la PRCA, dont je suis membre s’est rapproché de l’Ethics and Compliance Initiative (ECI) pour lancer un nouveau projet de recherche sur l’état global de l’éthique en RP. L’idée, c’est d’avoir un état des lieux actualisé, de faire rayonner la préoccupation de l’éthique au sein de la profession, à l’échelle planétaire, et de donner accès à des possibilités de perfectionnement professionnel et à une plate-forme de discussion axée sur l’intégrité et les moyens de réduire le risque de conduite non-éthique dans les relations publiques et les communications.
Les possibilités de mauvaises pratiques iront toujours plus vite que notre capacité à actualiser les codes de déontologie mais c’est ainsi, cela ne doit pas nous décourager.
Les codes de déontologie et leur enseignement sont nos meilleures armes de dissuasion pour prévenir la tentation de la déviance.